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ÉRASME (1467 env.-1536)

L'exil et la préparation à la mort

L'année 1529 à Bâle s'annonce difficile pour les tenants de l'Église traditionnelle. Érasme subit des pressions de la part des réformés de plus en plus nombreux. Des troubles se produisent visant même le culte catholique, mais le Conseil de la ville se montre modéré dans ses tentatives de réforme. Œcolampade, ancien collaborateur et disciple d'Érasme, est devenu l'apôtre de la doctrine nouvelle. Le vieil évêque, Christophe d'Utenheim, est mort. On ferme des couvents ; on fait disparaître les images saintes des églises ; le chapitre de la cathédrale émigre à Fribourg-en-Brisgau. C'est dans cette ville catholique d'Allemagne, cité d'Empire, située sur l'autre rive du Rhin, à quelques lieues de Bâle, qu'Érasme finit par se rendre lui-même le 13 avril 1529. Il s'installe en grande pompe dans la maison « Zum Walfisch », qui avait été construite jadis pour l'empereur Maximilien. Tout en gardant des liens privilégiés avec ses amis de Bâle, la familia des Froben et celle des Amerbach, il entretient une abondante correspondance avec les plus grands personnages de l'Europe et néanmoins travaille fiévreusement à une nouvelle édition de Chrysostome et de Cyprien, révise les Colloques, complète encore les Adages.

Quelque chose a changé en lui. Il rédige une nouvelle version de son testament, organise avec Froben la présentation de ses Opera omnia (qui paraîtront en 1540, après sa mort, introduits par Beatus Rhenanus). Bien que ses ennemis ne désarment point et que son rêve de réunification de l'Église paraisse dès lors tout à fait chimérique, il semble las de lutter. Il songe à la mort et, voulant rester un loyal serviteur de son Église, il se soucie d'en approfondir les dogmes plutôt que d'en dénoncer les abus. Les ouvrages de piété et de propagande religieuse qu'il écrira au cours des cinq années passées à Fribourg indiquent bien son dessein : un essai sur la Concorde de l'Église ; un traité de pastorale ; l'Ecclesiastes (ou l'art du prédicateur), fruit de sa science rhétorique et de son expérience religieuse ; un commentaire du psaume 14 Sur la pureté de l'Église du Christ ; une Préparation à la mort, où il reprend les lieux communs que le Moyen Âge avait assignés à ce genre littéraire, mais en y mettant un accent personnel. Ces écrits déconcertent encore parfois les historiens, qui n'y retrouvent pas l'image qu'ils s'étaient fixée de l'auteur avec l'Éloge de la folie ou les Colloques. Mais, quand on examine les textes de près, on constate que, du Manuel du chevalier chrétien (1503), qui ouvrait sa carrière d'humaniste chrétien ou de « philosophe du Christ », à la Préparation à la mort (1534), qui la clôt à peu près, Érasme a suivi une courbe spirituelle qui est, en dépit de tout, d'une belle régularité. S'il avait été suspect d'hérésie ou, pis encore, s'il avait été le crypto-luthérien que ses ennemis ne se lassaient pas de dénoncer, le nouveau pape, Paul III, lui aurait-il offert en 1535 le chapeau de cardinal ? Dignité que naturellement il refusa.

La situation à Bâle s'étant apaisée, Érasme, qui sent sa fin prochaine, revient, à la fin du mois de juin de 1535, dans cette ville où il a connu les plus grandes satisfactions intellectuelles et affectives. Il est logé dans une belle demeure, non loin de la cathédrale, « Zum Luft ». Holbein fait alors de lui une gravure, le représentant avec le dieu Terminus, son emblème préféré, symbole de la vie et préfiguration de sa mort (la mort est une borne, qui ne fait de concession à personne : Mors ultima linea rerum). À la fin d'octobre, la maladie le retient presque continuellement dans sa chambre. Il songe à tous ses amis disparus, à Fisher et à More,[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours

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<it>Portrait d'Érasme</it> - crédits : Photos.com/ Jupiterimages

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