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ERCKMANN-CHATRIAN, ÉMILE ERCKMANN (1822-1899) & ALEXANDRE CHATRIAN (1826-1890)

Un seul auteur ou deux ? Et vraiment alsacien(s) ? Le Lorrain Erckmann et le Lorrain Chatrian s'étaient rencontrés à l'âge de ces amitiés d'étudiants qui sont souvent les plus fécondes ; ils avaient décidé d'écrire des livres. Ils en discutaient le plan ensemble ; Erckmann tenait compte des suggestions de Chatrian ; il écrivait seul, au fond de sa province ; à Paris, Chatrian recevait le nouveau manuscrit, y apportait (parfois) d'infimes retouches, le plaçait chez les éditeurs et le convoyait auprès des journalistes.

Un seul auteur, donc : Erckmann (Émile). Mais triple, ou (si l'on préfère) doué d'un triple don, animé par un merveilleux talent de conteur : Erckmann raconte si bien qu'il faut prendre le temps de le relire pour s'apercevoir qu'il écrit bien... aussi.

Le don de l'Alsace, d'abord. On a trop vite fait de parler de littérature régionaliste : Erckmann, amoureux de l'Alsace comme seul peut l'être (sans doute !) un frontalier, ne se contente pas d'en énumérer jovialement les mille et une ressources ; il en aime jusqu'aux contradictions (voir les relations entre juifs et chrétiens dans L'Ami Fritz, 1864) ; il sait rendre l'exceptionnelle qualité de ses dynamismes truculents, de son alliance savoureuse de naïveté et de sagesse. Plus de cent ans après, les amoureux de l'Alsace d'aujourd'hui peuvent encore le relire comme un rhapsode bien plus que comme un chroniqueur.

Mais, franchie la porte des Vosges, et qu'on soit lorrain ou parisien, on débouche (bon gré, mal gré !) dans cette profonde forêt des enchantements germaniques où le cor merveilleux de l'enfant émet des sonorités qu'on ne perçoit pas de même en pays latinisé. La chance d'Erckmann est d'avoir vécu en cette fin du romantisme où un antagonisme franco-allemand paraissait aussi impensable qu'il est (de fait) fratricide (et la guerre de 1870 lui portera un coup dont son talent ne se relèvera pas). Ses sujets les plus alsaciens, il a la coquetterie, écrivant en français pour être édité à Paris, de les situer fictivement en Rhénanie allemande : ainsi de L'Ami Fritz, ainsi de La Taverne du jambon de Mayence (1863) et de bien d'autres. Et, de ces effluves germaniques qui viennent jusqu'à sa ville natale de Phalsbourg par la trouée de Saverne, il reçoit un don peu commun pour un écrivain français du temps d'Offenbach : celui du fantastique. Les Contes de la montagne (1860), les Contes des bords du Rhin (1862), les Contes vosgiens (1877) et autres Contes fantastiques (1881) réunissant des textes divers suffisent à dire qu'Erckmann, après Charles Nodier, est sans doute le conteur français du xixe siècle qui a le mieux appréhendé et su rendre une certaine atmosphère du rêve et du mystère.

Il n'est pas si facile pourtant d'être alsacien ou d'aimer l'Alsace. Passé les Vosges, la poésie germanique envoûte le Français ; face au Rhin, sur le pont de Kehl, l'Allemand se heurtait en 1790 à la pancarte proclamant : « Ici commence le pays de la liberté. » Républicains convaincus, intellectuels démocrates, militants de l'opposition au second Empire (Histoire du plébiscite, 1872), Erckmann et Chatrian n'avaient pas besoin de quitter la Lorraine et l'Alsace pour se retrouver aux sources du patriotisme révolutionnaire. D'où la troisième face de leur œuvre : ce cycle quasi épique des Romans nationaux (1867) qu'ils consacrent à la Révolution et au premier Empire, en racontant les événements du point de vue d'un homme du peuple. Histoire d'un conscrit de 1813, Histoire d'un paysan, L'Invasion, Le Blocus : cette partie de l'œuvre d'Erckmann-Chatrian, qui fut la plus célèbre et la plus populaire, se recommande encore par son honnêteté foncière et sa justesse[...]

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