CHEVILLARD ÉRIC (1964- )
Devenir animal
Car l'entreprise de Chevillard n'est pas purement ludique. Son œuvre, qui s’ouvre par le récit d’une agonie, est hantée par l’omniprésence de la mort et du temps qui passe. Elle explore de sombres dystopies (Choir) et se mesure sans cesse au vertige de la disparition, fût-ce sous couvert de l’ironie. Monotobio joue en partie le jeu de l’autobiographie et livre des souvenirs personnels, mais la multiplication de fausses liaisons causales entre eux montre surtout que l’homme est le jouet du temps qui file et abîme tout. La mort est omniprésente, avec des visites sur les tombes ou les annonces du décès de personnalités, mais aussi de son père et de proches, d’un passereau au ventre roux, des hérissons Zig et Zag. Les « ficelles » des Parques, lignes déjà écrites au déterminisme implacable, résument toute existence : le reste n’est que vaine agitation.
Alors, comment résister ? En se situant ailleurs, en faisant un pas de côté vers l'enfance, la folie, les animaux, en devenant un être ductile, insaisissable, ouvert à la perpétuelle nouveauté du monde. L’écrivain selon Chevillard est un animal polymorphe. Sa biblio-zoothèque est très peuplée : de Palafox(1990), animal protéiforme, au Hérisson « naïf et globuleux » auquel il s’identifie, en passant par les sombres auspices de Sans l'orang-outan (2007) et « Ma fourmi », récit qui s’étale en note sur plus de cent pages dans L’Auteur et moi(2012), il prend un malin plaisir à brouiller les limites entre l’humain et l’animal. En le confrontant à l’altérité, l’animalité renvoie l’écrivain à sa propre énigme et le « devenir » animal permet de porter un regard neuf sur l’humain. Selon Albert Moindre, un double de l’auteur, il est un animal dont il faut garder en soi les griffes, pour conserver intactes sa rage et sa virulence contre les conformismes : le tigre. Éric Chevillard n’est pas un écrivain engagé, mais il cultive une vision du monde subversive.
« C’est donc à moi seul désormais qu’il incombe de maintenir aux Éditions de minuit la tradition de l’auteur illisible et invendable », plaisante-t-il. Mais, si son œuvre a du mal à atteindre le grand public, elle a ses fidèles et ses passionnés et fera date dans l’histoire de la littérature.
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Écrit par
- Christine GENIN : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France
Classification
Média
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