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DAMPIERRE ÉRIC DE (1928-1998)

Éric de Dampierre incarne sans doute le mieux ce qui fut l'ambition de la génération de sociologues qui a reconstruit la sociologie française au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : fonder une science sociale empirique qui n'oublie pas pour autant ses fondateurs, ni la philosophie, ni l'histoire, tout en restant toujours soucieuse du bien public ; créer des institutions qui assurent la continuité et le rayonnement de cette discipline. Plus qu'à son œuvre personnelle, il s'est dévoué à cette tâche collective ; à travers elle, il est peut-être celui qui aura exercé l'influence la plus profonde – bien que discrète, presque secrète – là où des idées cheminent, loin du tintamarre de la place publique.

Le séjour de deux ans qu'Éric de Dampierre fit à l'université de Chicago, au Committee on Social Thought, lui apporta un complément de culture et d'érudition dont il sut faire le meilleur usage. Il revint à Paris avec l'ambition, bien folle pour un si jeune homme, d'amener dans l'univers parisien un souffle de Chicago. Un heureux hasard le servit : les éditions Plon lui confièrent la direction d'une nouvelle collection : Recherches en sciences humaines. Au lieu de se contenter, comme tout directeur de collection, de trouver de bons textes et d'en assurer une traduction et une présentation élégantes, il fit un véritable apprentissage de typographe. Il définit des normes auxquelles il resta fidèle jusqu'à la fin, si bien qu'un livre publié par Éric de Dampierre se reconnaît au premier coup d'œil, que ce soit sous la couverture de Plon ou celle des livres publiés par Bertrand de Jouvenel à Futuribles, qu'il s'agisse de la série des Classiques africains, des ouvrages publiés à Nanterre ou des revues : les Archives européennes de sociologie et Analyse et prévision.

L'intellectuel, l'esthète mélomane, était aussi un chercheur de terrain, un ethnographe au sens le plus exigeant du terme. Le hasard d'une commande l'amena en 1954 à Bangassou en pays zandé, à la frontière sud-est de l'Oubangui, devenu en 1958 République centrafricaine. Il retourna tous les ans, jusqu'en 1991, dans ce pays qui était devenu le sien. Il y avait sa maison et cherchait à pénétrer aux tréfonds de l'âme de ce peuple menacé de disparition et auquel il rendit son histoire en publiant sa thèse Un ancien royaume bandia du Haut-Oubangui (1968). Il fut fasciné par leurs poètes, qui s'accompagnaient d'une petite harpe, lointaine descendante des harpes égyptiennes : il les écoutait pendant de longues heures, les enregistra et les traduisit dans sa thèse secondaire, Poètes nzakara (1963). Par l'étude méticuleuse et répétée de leurs poèmes ainsi que par l'étude de la botanique indigène, il cherchait à décrypter la logique fondamentale qui sous-tendait la philosophie et la représentation du monde de ce peuple : un refus de toute classification et un goût pour les inversions symboliques. Dans un livre magnifiquement illustré, il a montré tout le génie esthétique du sculpteur qui façonne les têtes et la signification de la harpe pour le harpiste et son audience : Une esthétique perdue : harpes et harpistes du Haut-Oubangui (1996). Cette expérience personnelle de recueil de littérature orale le conduisit à imaginer la collection des Classiques africains, fondée en 1965, qui, à l'image de la collection Budé pour les classiques français, archive les grands textes de la littérature orale africaine.

En 1960, Raymond Aron fonda le Centre européen de sociologie, dont il confia l'animation à Éric de Dampierre, avec qui il était en étroite collaboration et en grande complicité intellectuelle. Dans la foulée, il créèrent les Archives européennes de sociologie, revue trilingue qui devait être le fanion de la[...]

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