HOBSBAWM ERIC J. (1917-2012)
Né au début du « court xxe siècle » (1914-1991), Eric Hobsbawm aura été l'historien du « long xixe siècle » (1789-1914), selon ses propres expressions, énoncées dans des ouvrages largement diffusés qui lui ont valu une réputation internationale. Anglais d'Europe centrale, juif, polyglotte cosmopolite, il a traversé le xxe siècle et parcouru le monde avant de s'éteindre au début du xxie siècle.
Né en 1917 à Alexandrie, d'une mère autrichienne et d'un père anglais, il a grandi à Vienne et à Berlin puis, à partir de 1933, il a vécu à Londres, séjournant également en France (« ma seconde patrie »), en Espagne, en Italie ou aux États-Unis et en Amérique latine. Pourtant, Hobsbawm n'a jamais été un maître à penser ; il est resté sinon un franc-tireur – titre français de son autobiographie –, du moins un historien « décalé », selon l'expression de Christophe Charle ; décalé dans sa vie, dans ses choix méthodologiques, dans ses interprétations historiques, dans ses prises de position politique. Il s'est défini lui-même comme « quelqu'un qui n'appartenait pas totalement à l'endroit où il se trouvait ».
Étudiant en histoire à Cambridge, il avait adhéré au Parti communiste britannique, en 1936, auquel il est resté curieusement fidèle sans pourtant être un militant orthodoxe, se considérant comme un « aristocrate communiste », ce qui le préserva des dérives staliniennes.
Cependant, même dans un Royaume-Uni libéral, ses choix politiques ont retardé sa carrière universitaire : « reader » depuis 1947 au Birkbeck College (cours du soir), il n'y deviendra professeur qu'en 1970. À partir des années 1960, il enseigne aux États-Unis, au Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.) puis régulièrement à la New School for Social Research de New York. En France, il fut appelé par Clemens Heller, administrateur à l'E.H.E.S.S. pendant les années 1970, pour animer un séminaire d'histoire sociale.
Son engagement pour l'histoire est inséparable de ses choix politiques. En 1952, il avait fondé avec quelques historiens marxistes, dont Christopher Hill et Edward P. Thompson, la revue Past & Present, qui a joué un rôle déterminant dans le développement de l'histoire sociale au Royaume-Uni et dans le monde entier au cours des décennies 1950-1970. Mais, là encore, il ne s'est pas embarrassé de suivre l'orthodoxie. Passant de travaux sur les briseurs de machines au début de la révolution industrielle (1952) à la crise du xviie siècle (1954), cet « anti-spécialiste dans un monde de spécialistes », s'intéressa également à la figure du bandit social (1968) ainsi qu'au jazz (1959). Abolissant les frontières entre l'histoire sociale et l'histoire culturelle, au mépris de la doxa historienne, ignorant les modes historiographiques, ce méthodologue pragmatique n'a pourtant jamais renoncé à son approche intuitive de l'histoire, demeurant sceptique à l'égard du tout quantitatif et du tout culturel de l'histoire sociale. Il contribua à sortir l'histoire ouvrière des ornières de la mythologie militante, abordant les formes archaïques d'agitation sociale au travers de la figure du « révolté primitif » qu'il rencontre dans les sociétés traditionnelles de l'Europe méditerranéenne ou des banlieues pré-industrielles. Un premier livre, Les Primitifs de la révolte dans l'Europe moderne, puis Les Bandits et L'Invention de la tradition s'imposent comme des ouvrages classiques pour une histoire sociale sensible aux pratiques culturelles.
Mais Hobsbawm délaisse l'histoire sociale pour celle des sociétés ; il se laisse tenter par les grandes fresques braudéliennes en publiant une trilogie sur l'établissement du capitalisme industriel et de la bourgeoisie[...]
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Écrit par
- Bertrand MÜLLER : directeur de recherche au CNRS
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Autres références
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