POITEVIN ÉRIC (1961- )
Le photographe français Éric Poitevin est né en 1961 à Longuyon (Meurthe-et-Moselle). Ses œuvres nous permettent de constater que « le monde existe », mais en creux et en marge d'une « réalité » sociopolitique actuelle. Est-ce faute de nous délivrer un message explicite à travers les séries d'anciens combattants (1985), de religieuses (1990), de chevreuils tués (1993) ou de sous-bois (1995) ? Ou par manque de discernement ? Pour Éric Poitevin, « arbre, animal, homme, il n'y a pas une chose qui vaut plus que l'autre, ou, plutôt, pas une chose qui vaut moins ». Aussi accorde-t-il une même importance à son initiation à la photographie par un pharmacien qu'à son passage à l'école des Beaux-Arts de Metz au début des années 1980.
Sa démarche s'est, peut-être, développée de manière assez empirique entre le moment où il découvre, en 1985, une trentaine de boîtes entomologiques de papillons et celui où il les intègre à son travail en 1994. La plupart des boîtes n'avaient conservé que le souvenir d'une collection en décomposition : un résidu moisi. Poitevin envisage d'abord d'opérer une sélection de la sélection, en cadrant ses photos à l'intérieur des boîtes. Il y renonce et, dix ans plus tard, les photographies « telles quelles » – prise de vue verticale, absence d'ombre portée, bords de la boîte inclus dans l'image, tirages à l'échelle 1/1 – et les rassemble dans un ouvrage du même format. Sans doute les démarches de l'entomologiste et du photographe se superposent-elles parfois. Tous deux mettent en œuvre un dispositif de conservation dérisoire de l'éphémère avec parfois ce même mélange de fascination et de cruauté pour leur objet. Ainsi, en 1983, le premier travail d'envergure d'Éric Poitevin se compose d'une série de trois cents portraits des habitants de Mangiennes, un village de la Meuse, proche de sa ville natale, et où il habite. Cette performance qui paraît immortaliser le village lui vaut les honneurs de la presse locale. Pourtant, rien ne témoigne de cette belle unité d'espace et de temps propre à ces anciennes « photos souvenir » de groupe dont Poitevin possède quelques exemples. Deux ans plus tard, il réalise une série de cent portraits de vétérans de la Grande Guerre grâce à une bourse du ministère des Anciens Combattants. Le rapport d'Éric Poitevin à l'institution passe, alors, par une utilisation intensément ambiguë de ses valeurs – l'uniformité, l'autorité, l'obéissance, etc. Il les intègre depuis une prise de vue prédéterminée à laquelle chaque modèle est soumis, jusqu'aux cent tirages rigoureusement étalonnés. L'ensemble semble renvoyer dos à dos deux modes de sélection : l'un institutionnel, souligné par les décorations que certains vétérans arborent fièrement, l'autre plus affectif, que suscitent certaines figures échappant à tout stéréotype.
Pensionnaire de la Villa Médicis en 1990, son nouveau projet relève d'une confrontation à l'ordre religieux et à sa morale hypocrite : « La religion cultive l'interdit, or, moi, je ne m'interdis rien, dit Éric Poitevin. Quand on parle de religieux, on est [...] dans un rapport de forces. » De fait, ses portraits d'ecclésiastiques de haut rang et de religieuses ne transgressent ce rapport de forces qu'en l'intensifiant. En redoublant, par exemple, l'austérité et l'isolement des religieuses par ces bordures noires mates presque aussi larges que l'image elle-même, et qui en prolongent si bien les noirs profonds que la figure et son cadre se confondent.
De même, lorsqu'il travaille dans la nature, Éric Poitevin apprécie les conditions climatiques défavorables qui provoquent « une situation de résistance ». C'est, semble-t-il, sa façon de ne[...]
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Écrit par
- Hervé VANEL : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Brown, Rhode Island (États-Unis)
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