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ROHMER ÉRIC (1920-2010)

Personnage secret veillant jalousement sur sa vie privée, aimant à se cacher derrière des pseudonymes, ancien professeur de lettres et successeur d'André Bazin à la direction des Cahiers du cinéma, moraliste intransigeant et cinéaste méticuleux jusqu'à la manie, Éric Rohmer a mené une carrière à contre-courant des modes. Considéré comme classique parce qu'il tient à la clarté du récit comme des images, désuet même par l'importance qu'il accorde à la parole, austère parce que ses personnages abordent parfois des questions philosophiques, ses descriptions des stratégies amoureuses de garçons et de filles d'aujourd'hui, une ironie parfois cruelle, une narration bien plus élaborée et perverse qu'il n'y paraît ont montré une modernité inattendue. Son influence sur une part du jeune cinéma français contemporain est de plus en plus évidente, de Christian Vincent à Arnaud Desplechin.

De son vrai nom Maurice Schérer, Éric Rohmer est né le 21 mars 1920 à Tulle (Corrèze), dans une famille d'origine alsacienne. Après des études de lettres, il enseigne à Paris, puis à Vierzon. Passionné de cinéma, il écrit dès 1948 dans La Revue du cinéma et Les Temps modernes, et participe, en 1949, au festival du film maudit de Biarritz. À partir de 1950, il anime le ciné-club du quartier Latin et publie La Gazette du cinéma, dont les cinq livraisons préfigurent les Cahiers du cinéma – fondés en 1951, entre autres par André Bazin – qu'il dirigera, après la mort de ce dernier, de 1959 à 1963, et d'où seront issus les principaux cinéastes de la nouvelle vague. Parallèlement à cette importante activité théorique et critique, il réalise régulièrement des courts-métrages en « amateur » à partir de 1950.

D'une dizaine d'années plus âgé que ses collègues de la nouvelle vague, Rohmer s'impose comme l'un des principaux théoriciens du groupe. Ses réflexions, recueillies en 1984 dans Le Goût de la beauté, s'inscrivent dans le droit fil des théories de Bazin. À l'« axiome » de ce dernier qui fait de la capacité de la caméra à reproduire mécaniquement et chimiquement la réalité le fondement de l'art du film, il ajoute la notion de cinéma comme « art de l'espace ». Il réconcilie ainsi l'objectivité cinématographique et la subjectivité du cinéaste : celle-ci s'exprime dans le choix et l'organisation de portions d'espaces prélevés dans le réel. Rohmer sera aussi, avec Truffaut, Godard, Rivette, Douchet, Chabrol (avec qui il écrit un Hitchcock en 1957), l'un des ardents défenseurs de la politique des auteurs, qu'il considère moins comme une théorie que comme un « parti pris ». L'auteur n'est pas celui qui s'exprime personnellement dans un style qui lui est propre, mais celui qui utilise des moyens spécifiques pour explorer un champ qui n'appartient qu'au cinéma : révéler la beauté et la vérité du monde au lieu de les créer de toutes pièces.

C'est ainsi que, fidèle à ses propres principes sans s'y laisser réduire, l'œuvre de Rohmer offre toujours une image aussi transparente et objective que possible. L'évidence de ce qui est montré doit opposer une preuve irréfutable à la subjectivité des personnages, que celle-ci s'exprime dans le dialogue (« Comédies et proverbes » et « Contes des quatre saisons ») ou dans un commentaire « off » (« Six Contes moraux »).

Les « Contes moraux »

Dans le premier long-métrage de Rohmer, Le Signe du Lion, l'espace règne en maître et l'intrigue pourrait se résumer aux déambulations de Wesselrin dont la dégradation, de l'état de dandy bohème à celui de clochard, n'est que la conséquence de son trajet dans l'espace : usure des vêtements, des chaussures, apparition de la barbe, salissures. Cet itinéraire, physique[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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