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ROHMER ÉRIC (1920-2010)

Les « Contes des quatre saisons »

Après un agréable intermède (Quatre Aventures de Reinette et Mirabelle, 1986) et un intéressant document historique télévisuel (Les Jeux de société, 1989), Conte de printemps inaugure, en 1990, une nouvelle série, les « Contes des quatre saisons ». Le terme de « conte » est ici à prendre dans le sens de légende ou récit magique et imaginaire, et non plus seulement narratif ou mensonger. Le choix des saisons inscrit la notion dans un cadre cosmique et le débat dans une perspective plus vaste : le temps s'ajoute à l'espace comme catégorie a priori de l'univers rohmérien. Une conversation autour de la philosophie transcendantale et de Kant occupe d'ailleurs le centre de Conte de printemps. Si les attitudes morales et sentimentales des personnages demeurent au cœur des intrigues de Conte d'hiver (1992), de Conte d'été (1996) et de Conte d'automne (1998), elles font de plus en plus place à une réflexion sur la connaissance. Comment exercer sa liberté et définir des principes de vie sans se poser la question de l'illusion et de la vérité, de ce qui vient de notre esprit et de ce qui lui est extérieur ? Ce qu'un personnage de Conte d'hiver exprime à sa façon : « Il est important de se poser le problème de l'existence de la vache, de la réalité du monde ». Au moment où les images de synthèse se passent de tout référent matériel, Rohmer s'interroge, non plus en termes théoriques comme au temps de Bazin, mais en termes de création, sur ce que voient aussi bien ses personnages que le spectateur. L'image n'est plus la preuve irréfutable opposée à la subjectivité du discours, elle est susceptible de créer le doute, dès lors qu'elle relève à la fois du monde sensible et de l'imaginaire. Déjà, à la fin du Rayon vert, selon la qualité de la projection ou le support (film ou vidéo), le spectateur voyait ou non le fameux rayon vert dont la présence devait justifier l'obstination de l'héroïne. Au pur phénomène optique s'ajoutait celui de la croyance du spectateur dans la signification de ce rayon, inspiré du roman de Jules Verne. Félicie, dans Conte d'hiver, oppose fermement la croyance, jusque dans ses connotations religieuses, à la connaissance. Elle retrouvera Charles et il l'aimera toujours. Sa foi triomphe de la logique raisonnable de ses proches, mais elle a entre-temps méconnu les sentiments d'Alexandre et de Loïc, et rien ne permet de conclure que le Charles qu'elle retrouve effectivement à la fin du film soit conforme à l'image idéale qu'elle s'en est formée pendant cinq ans. Dans L'Arbre, le maire et la médiathèque ou les 7 hasards (1992), c'est la logique des enchaînements qui est affectée de suspicion : sans ces sept « hasards », le projet purement politicien du maire de Saint-Juire de construire une superbe médiathèque n'aurait peut-être pas échoué. Chacun des quatre sketchs des Rendez-vous de Paris (1995) repose sur une série d'affirmations formulées par les différents personnages, laissant place à une multiplicité d'interprétations invérifiables, toute preuve visuelle demeurant inéluctablement hors champ. La pensée ne s'appuie plus seulement sur le doute mais se meut dans le relatif. C'est dans le relatif qu'évolue Gaspard dans Conte d'été. Il est le premier des héros rohmériens sans projet, hésitant, vivant dans l'instant, sans repères moraux, philosophiques et même matériels, se laissant dériver au gré des propositions des trois héroïnes, et prenant la fuite une fois nouée une situation sentimentale inextricable. À l'évidence, le chassé-croisé de Gaspard était voué à l'échec, ses relations avec Margot, Solène et Léna demeuraient bien superficielles, et il a la vie devant soi pour réaliser[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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