STROHEIM ERIC VON (1885-1957)
Stroheim est un des grands réalisateurs de l'époque du muet, doublé d'une personnalité fascinante et ambiguë. Ses films conservent une valeur intrinsèque en même temps qu'ils ont exercé une influence profonde, durable et salutaire sur l'évolution du cinéma. Après l'avènement du parlant, le réalisateur s'est effacé derrière l' acteur prestigieux. Stroheim s'est fait connaître simultanément comme scénariste, metteur en scène et vedette en reconstituant à Hollywood l'Europe du début du siècle avec un souci exacerbé du réalisme dans le détail. Il prête des aventures de feuilleton à un aristocrate cynique, abusant du prestige de l'uniforme, avec lequel le public n'hésite pas à l'identifier. Son chef-d'œuvre reste Les Rapaces, dont l'action se déroule en Californie, dans un milieu d'émigrés pauvres, et qui décrit avec une brutalité sans concessions l'avarice, la haine et le sadisme d'êtres frustes. Toujours en conflit avec les producteurs – presque tous ses films sont mutilés ou ont été interrompus en cours de tournage –, pour vivre il se résigne, à partir de 1928, à exploiter son talent et sa célébrité de comédien. Il affecte de ne pas en faire grand cas et ne s'en assure pas moins, avant et après la guerre, une longue carrière en France.
Un réalisateur maudit
Né à Vienne, d'une famille de commerçants israélites, Erich Hans Stroheim, dit Eric von Stroheim, déserte après six mois de service militaire. On le retrouve en 1914 à Hollywood comme figurant, puis comme assistant. En 1917, des films de propagande lui donnent l'occasion d'incarner des junkers prussiens, odieux à souhait. Son succès, que consacre la formule publicitaire « L'homme que vous aimerez haïr », l'engage à prétendre qu'il s'appelle von Stroheim, qu'il est fils d'aristocrates autrichiens, qu'il a servi comme lieutenant de dragons sous les Habsbourg : une légende qu'il maintiendra jusqu'à ses derniers jours et qui sera universellement adoptée. Ce sera un personnage de cette caste qu'il incarnera dans La Loi des montagnes (Blind Husbands, 1918), Folies de femmes (Foolish Wives, 1921), La Symphonie nuptiale (The Wedding March, 1927) et qu'il confiera à un autre acteur dans Merry Go Round, La Veuve joyeuse (The Merry Widow, 1925), Queen Kelly (1928).
C'est avec l'adaptation d'un roman de Frank Norris qu'il donne toutefois sa véritable mesure. Les Rapaces (Greed, 1923) sont tournés, intérieurs et extérieurs, dans des décors naturels : technique sans précédent pour une œuvre de fiction. Ce n'est qu'un des procédés auxquels recourt Stroheim pour échapper aux poncifs hollywoodiens et donner une force convaincante aux passions sordides que le public n'est pas alors habitué à voir évoquées à l'écran. À la fois par la mimique des acteurs, dirigés avec une exceptionnelle maîtrise, et par un jeu de symboles, Stroheim fait comprendre que la cupidité des trois êtres qui les fait se déchirer entre eux n'est qu'une forme de sexualité refoulée.
La projection devait demander trois heures (la pellicule en aurait permis douze). Stroheim a toujours pensé que cette durée était nécessaire pour évoquer des conflits complexes, et un programme deux fois plus long aurait permis d'amortir le coût élevé de neuf mois de prises de vues. Devant les kilomètres de pellicule impressionnée, il lui faut plus d'un an pour réduire le montage à cette limite. La copie lui est alors arrachée et confiée à un professionnel qui la réduit de près de la moitié. Le supplice que subit ainsi l'auteur, en voyant mutiler son œuvre, lui est infligé en pure perte. L'exploitation n'en est pas moins un désastre financier. La vision cruelle d'une humanité réduite à des instincts féroces n'est plus masquée, comme dans les œuvres[...]
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Écrit par
- Denis MARION : critique de cinéma
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