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FRIED ERICH (1921-1988)

Né à Vienne de parents juifs, Erich Fried a dû quitter l'Autriche après l'Anschluss en 1938. Établi en Angleterre, d'abord comme travailleur occasionnel, puis comme collaborateur de la B.B.C., il devient un remarquable traducteur de Dylan Thomas, de T. S. Eliot et surtout de Shakespeare. Au centre de sa propre œuvre, il y aura, du début (avec les recueils de poèmes Allemagne, 1944, et Autriche, 1945) jusqu'à la fin (Ne pas refouler... Textes sur l'Autriche et Contre l'oubli, 1987), une seule préoccupation : la lutte au nom des droits de l'homme contre toutes les formes d'injustice, de violence et de discrimination raciale et sexuelle. Erich Fried est un poète politique doublé d'un pédagogue acharné. Ce qu'il avait formulé en 1944 à l'adresse des nationaux-socialistes – « Vous nous avez appris à haïr, c'est pour cela que je vous accuse » – restera son programme poétique, politique et pédagogique. Dans les dernières années, il s'était même lié avec le « docteur de l'âme autrichienne », le psychanalyste Erwin Ringel, et le sculpteur Alfred Hrdlicka, le créateur du « cheval de Waldheim » et du monument antifasciste de Vienne, pour dénoncer la résurgence de la violence et de l'intolérance en Autriche.

Sans renoncer à son statut de « poète sans patrie/frontière », Erich Fried est revenu en Autriche et en R.F.A. pour y jouer un rôle étonnant : depuis le milieu des années 1960, notamment après la publication de son violent réquisitoire poétique contre la guerre du Vietnam (Et Vietnam et, 1966), il a sillonné les deux pays en participant à d'innombrables manifestations politiques et en récitant ses poèmes en public. Sa vocation pédagogique l'a poussé à se rendre dans d'obscures auberges autrichiennes pour y affronter sur leur terrain d'anciens nazis. « Tu les as reconnus à leurs paroles ; avec leurs paroles tu les as frappés », disait-il de son maître Karl Kraus. Mais, faudrait-il ajouter, « ils n'ont rien voulu entendre ni comprendre ». En revanche, Erich Fried a su convaincre un public nombreux et souvent jeune qui s'est comporté avec lui en véritable communauté fervente, ce qui lui a même valu le sobriquet de « mère Teresa pour profs gauchistes ».

Incontestablement, l'audience d'Erich Fried, auréolé des plus hautes distinctions littéraires (prix Büchner, grand prix de l'État autrichien), n'a cessé de croître : le poète lyrique devenait conscience et praeceptor Germaniae et Austriae. S'il est également l'auteur d'un roman (Le Soldat et la fille, 1960), de quelques récits et de l'esquisse autobiographique Parfois même un rire (1986), Erich Fried reste surtout un poète lyrique. Après des débuts fort traditionnels, il développe un style particulier qui caractérise à partir de ses nombreux recueils parus depuis 1966. Il va jusqu'à opposer des « antipoèmes » à ses propres poésies de jeunesse. D'après lui, le poème doit être au service de la raison critique, de la pensée démasquante, de l'action politique et humaniste. À l'instar de Brecht, Fried exige du poème « une valeur d'usage ». Pour y arriver, il purge ses poèmes des métaphores et des images pour les remplacer par des jeux de mots, des chaînes d'associations, et surtout par l'utilisation systématique de l'antithèse.

Dans sa sobriété, son texte ressemble souvent à une sentence, à un proverbe ou à un aphorisme : « Dire / Ici / règne la liberté / est toujours une erreur / voire / un mensonge : // La liberté / ne règne pas. » On peut aisément reconnaître dans cette technique l'influence de la tradition viennoise de la critique du langage, notamment des méthodes satiriques de Karl Kraus, mais également la trace de l'analyse des phénomènes psychopathologiques du langage quotidien[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

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    ...floraison de la société alternative donnent une large place dans la littérature aux écritures qui s'efforcent de créer un monde différent : la personnalité d'Erich Fried domine de façon tout à fait paradoxale cette époque. Reconnu par tous ceux qui, déçus par « la longue marche à travers les institutions...