KORNGOLD ERICH WOLFGANG (1897-1957)
Le compositeur d'opéras
Dans les années où le jeune homme s'affirme, le passage par l'opéra ou l'opéra-comique est nécessaire à la réussite de tout compositeur. Les deux premiers ouvrages lyriques de Korngold, Der Ring des Polykrates – opéra bouffe en un acte, sur un livret de Leo Feld et Julius Korngold d'après un texte de Heinrich Teweles – et Violanta – tragédie en un acte, sur un livret de Hans Müller-Einigen d'après un texte de Hans Kaltneker –, sont créés lors de la même soirée, le 28 mars 1916, au Hoftheater de Munich, sous la direction de Bruno Walter. Après Violanta, Korngold acquiert la renommée mondiale avec son chef-d'œuvre, Die tote Stadt (La Ville morte), un des opéras majeurs du xxe siècle ; celui-ci, composé de 1916 à 1919, est créé triomphalement le 4 décembre 1920, simultanément au Staatstheater de Cologne, sous la direction d'Otto Klemperer, et, sous celle d'Egon Pollak, au Stadttheater de Hambourg, dont Korngold deviendra le chef d'orchestre titulaire l'année suivante. Le livret de Die tote Stadt est d'un certain « Paul Schott » – un pseudonyme qui dissimule en fait Julius et Erich Wolfgang Korngold –, d'après le roman Bruges la Morte (1892) du poète symboliste belge Georges Rodenbach. L'action se situe à Bruges, ville morte qui n'apparaît d'ailleurs pas comme une ville mais comme la représentation d'une femme. Paul, veuf inconsolable, ne peut vivre sans son épouse défunte, Marie. Une jeune danseuse, Marietta, qui ressemble physiquement à sa femme sans en avoir le caractère, le trouble au point qu'il l'identifie à Marie ou plutôt au souvenir qu'il en a. Il mêle les visions hallucinatoires aux réalités de son rapport amoureux avec Marietta, croyant ainsi se débarrasser de ses fantasmes, ou plutôt de ses fantômes. Il perdra finalement Marietta et se décidera à quitter Bruges, ayant enfin compris que rien ne peut faire revivre les disparus, et qu'il est nécessaire, si l'on veut continuer à vivre, de tuer ses fantômes. Marqué par la Première Guerre mondiale, influencé par le freudisme, cet opéra expressionniste baigne dans une atmosphère constamment tragique et désespérée. Son écriture est celle d'un écorché vif, avec une orchestration d'un raffinement extrême – avec des bois par trois, l'utilisation de deux harpes, d'un célesta, d'un piano, d'un harmonium, de cloches... –, des harmonies d'une rare complexité, avec de larges sauts dans les lignes vocales. « Le type d'écriture lui-même varie d'une scène à l'autre. Ainsi, les moments de violence (physique ou morale) se rattachent à l'expressionnisme, qui représente alors l'avant-garde sur les scènes allemandes, tandis que d'autres passages évoquant Bruges et son atmosphère ouatée ont plutôt recours à des textures impressionnistes » (Alain Perroux). Signe de sa notoriété, Die tote Stadt sera, le 19 novembre 1921, le premier opéra « allemand » donné au Metropolitan Opera de New York après la Première Guerre mondiale. Le duo de Marietta et de Paul, à l'acte I, « Glück, das mir verblieb », sera enregistré par les plus célèbres chanteurs mais il faudra attendre 1975 pour que soit réalisé le premier enregistrement intégral de l'œuvre, par l'Orchestre de la Radio de Munich, sous la direction d'Erich Leinsdorf, avec René Kollo (Paul) et Caroll Neblett (Marietta et l'apparition de Marie).
Après la composition de Die tote Stadt, Korngold abandonne quelque temps l'opéra pour se consacrer à une grande ouverture symphonique, Sursum corda (créée par lui-même à la tête de l'Orchestre symphonique de Vienne le 24 janvier 1920), aux lieder, à la musique de chambre (Quintette avec piano, 1923 ; Premier Quatuor à cordes, 1924). [...]
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Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
Classification
Média