STAGNELIUS ERIK JOHAN (1793-1823)
Ce fils d'évêque né à Gärdslösa, en Suède, fit des études bâclées à Lund et à Uppsala. Il souffrit pendant sa courte existence d'une santé chancelante, s'adonna à l'ivrognerie et à la narcomanie avant de mourir, semble-t-il, d'une crise cardiaque. Il ne correspond pourtant pas à l'image que l'on se fait conventionnellement du « poète maudit ». Après quelques assais poétiques, il publia, en 1821, Les Lys de Saron, recueil de poèmes religieux suivi, la même année, d'un drame, Les Martyrs, dans le sillage de l'ouvrage de Chateaubriand, puis Les Bacchantes ou le Fanatisme (1822), auquel il faut ajouter le drame swedenborgien dont le titre résume l'argument : Albert et Julie, ou l'Amour après la mort, scène du monde de l'esprit (1824, posthume). Cette mince production suffit à le classer parmi les plus grands poètes de son pays. Il nous offre aussi une bonne occasion d'étudier, non seulement les grandes tendances de l'inspiration poétique de son temps — le début du xixe siècle marque, en Suède, le triomphe progressif des idéaux romantiques sur l'âge des Lumières —, mais aussi les traits distinctifs de l'inspiration lyrique suédoise.
Le drame de Stagnelius a été de ne point parvenir à triompher d'un dualisme opposant sollicitations de la matière et aspirations de l'esprit. Son génie reste d'avoir su donner à cette quête des accents d'une musicalité, d'une beauté imagée et, le plus souvent, d'une profondeur tout à fait remarquables. Stagnelius demeure l'un des témoins les plus convaincants d'une quête exactement mystique de la vérité et de la beauté qu'il incarne dans le personnage mi-symbolique, mi-réel d'Amanda, dont il est, lui, l'Amandus. Son inspiration, pour partie amoureuse, pour partie religieuse, et à laquelle on a cherché force modèles, soit contemporains (Swedenborg et son couple Seraphitus-Seraphita, Schelling), soit antiques (Platon, Plotin, les pythagoriciens, la Kabbale), paraît bien être, en définitive, de caractère gnostique. Si le thème de l'âme prisonnière de la « matière » est certainement néoplatonicien, c'est probablement à la gnose qu'il faut faire remonter le désir de l'au-delà combiné à un mépris souvent grandiloquent de ce monde, à une adoration extatique de la fiancée céleste dont lui-même serait le Christ. Il y a chez Stagnelius une recherche de l'absolu, un radicalisme de la thématique idéaliste et une conception de la femme que ne contredit pas une analyse attentive de la déesse-mère telle qu'elle figure dans la mythologie scandinave ancienne.
Stagnelius s'avère un écrivain éminemment moderne, dont l'œuvre exige de multiples lectures sans que soit jamais assurée la « clef » qui en rendrait compte. Et, toute tentative d'élucidation écartée, la densité chantante de son lyrisme semble avoir poussé parfois dans ses derniers retranchements les possibilités de la langue suédoise. Il est peu de poètes de son pays — à commencer par G. J. L. Almqvist — qui ne lui doivent le meilleur de leur inspiration.
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Écrit par
- Régis BOYER : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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SUÈDE
- Écrit par Régis BOYER , Michel CABOURET , Maurice CARREZ , Georges CHABOT , Encyclopædia Universalis , Jean-Claude MAITROT , Jean-Pierre MOUSSON-LESTANG , Lucien MUSSET , Claude NORDMANN et Jean PARENT
- 35 770 mots
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...grossière et décevante ébauche : L'Île de la félicité (1827). Ce mysticisme trouve une expression plus intense encore dans les œuvres d' Erik Johan Stagnelius (1793-1823), Les Lys de Saron (1821) et Les Martyrs (1821) influencés par Chateaubriand. Stagnelius tire une subtile jouissance de...