SATIE ERIK (1866-1925)
Un précurseur discret
Satie est généralement victime d'une équivoque. On voit trop exclusivement en lui l'humoriste qui aime donner à ses œuvres des titres cocasses et qui ne recule devant une plaisanterie que si elle cesse d'être inoffensive. En réalité, cet homme courtois et doux, sociable et ne se signalant en public par aucune excentricité, masquait derrière une volonté comique entretenue avec un sourire discret une audace de précurseur que sa pudeur naturelle lui interdisait de trop mettre en évidence. Il continue à écrire son œuvre en dehors de tous les mouvements esthétiques, de toutes les chapelles et écoles de l'époque, mais il les approche toutes. Après les Pièces froides (1897) et les Morceaux en forme de poire (1903), ce sont les Préludes flasques pour un chien, les Embryons desséchés, les Valses du précieux dégoûté, les Danses de travers, les Croquis et agaceries d'un gros bonhomme en bois, échelonnés entre 1906 et 1914, œuvres détachées de tout système, nues, sans prestige ni sortilège d'écriture, modestes dans leur nouveauté et dépourvues de tout effet oratoire. Satie est mêlé au mouvement de la Société de musique indépendante, et ami de Ravel qui fait jouer sa musique. Brusquement, il passe auprès du grand public pour un précurseur, un personnage d'avant-garde, car, en 1917, les Ballets russes de Diaghilev montent Parade, ballet écrit d'après un argument de Cocteau et dansé dans des décors de Picasso avec une chorégraphie audacieuse de Massine. L'œuvre est fracassante, et l'on y voit apparaître des procédés qui feront fureur, bien des années plus tard, chez des musiciens soucieux de modernisme mais souvent moins imaginatifs que Satie : il s'agit de l'extension de la percussion classique par toutes sortes d'instruments d'occasion tels que sirène, machine à écrire. Cependant, le musicien produit simultanément une œuvre d'une austérité rare, un drame symphonique sur un texte de Platon traduit par Victor Cousin : Socrate (1918). Il s'agit là d'une technique nouvelle qui appartient entièrement à Satie, et qui nous envoûte par sa sereine noblesse, son renoncement à tout brillant, sa richesse intérieure extraordinaire.
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Écrit par
- Michel PHILIPPOT : professeur de composition au Conservatoire national supérieur de musique de Paris
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