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CŒURDEROY ERNEST (1825-1862)

Poète et théoricien de la révolution apocalyptique, Cœurderoy illustre, en la poussant au paroxysme, l'évidence tristement vérifiée que ceux que le désespoir pousse à la révolution ne font que des révolutions désespérées. Avec une extrême lucidité, il éprouve à quel point une société qui interdit la libre création de soi s'expose nécessairement aux coups de la passion de la destruction. Les raisons qu'il invoque en exhortant de nouveaux barbares à anéantir la civilisation répondent aux raisons répressives d'une époque. Elles justifient encore Ravachol, Caserio, Bonnot, mais ne sont plus que caricatures et redites dérisoires dès l'instant qu'une complicité implicite mêle terrorisme d'État et terrorismes privés.

Né à Avallon, Ernest Cœurderoy fait ses études à Paris puis à Tonnerre. Diplômé en médecine en 1845, il adopte, lors de la révolution de 1848, les positions les plus extrémistes. Recherché par la police, il demande asile au professeur Ricord, qui refuse de l'accueillir, et s'exile à Genève, puis à Lausanne, où il exerce la médecine. Chassé de Suisse, expulsé de Bruxelles, il se réfugie à Londres, où il publie avec le fouriériste Octave Vauthier La Barrière du combat, pamphlet contre les chefs de l'émigration (1852), que suivra De la révolution dans l'homme et dans la société. En 1853, il quitte l'Angleterre pour l'Espagne, où il prépare la première partie de Jours d'exil. En 1854, il séjourne en Italie et fait paraître Hurrah ! Ou la Révolution par les cosaques. Tandis que le découragement le gagne, il se marie à Genève en 1855 et mène une existence effacée. Il se suicide en octobre 1862.

Toute l'œuvre de Cœurderoy n'est qu'un cri de rage et d'indignation. En dépit du ton parfois déclamatoire et maladroit, le souffle de la sincérité emporte l'adhésion. L'ombre annonciatrice de Maldoror plane sur cette exaltation qui n'est singulière qu'en apparence, car elle émane d'une société dont la seule force était de se rendre haïssable : « La haine, la haine ! je n'ai que cet amour. Je la respire et la renvoie. Je suis la poudre qui rend mille morts pour une étincelle [...]. Je prendrai dans ma main la torche embrasée, et je commencerai par la maison qui m'a fait le plus souffrir, par la maison de mon père : la première jouissance qu'elle me causera de ma vie sera de la voir s'écrouler. »

Ce qui n'est que complaisance dans un certain romantisme révolutionnaire obéit ici à une détermination où le malheur de l'existence opprimée s'efforce de fonder une théorie radicale qui mette fin à sa misère. De la révolution dans l'homme et dans la société décèle encore une mutation possible dans le bouleversement social espéré : « Dans l'univers, les transformations s'opèrent par cataclysmes, dans la société par révolutions, dans l'homme par crises. » Dans Hurrah ! Ou la Révolution par les cosaques, la vision prophétique prend des allures millénaristes. Des cosaques, dont il sollicite l'ouragan vengeur et destructeur, il précise : « Ils sont chez nous les cosaques, car le cosaque, c'est l'homme déshérité. » Il se complaît à l'idée que disparaisse à jamais de la terre ce qui en est la lie, militaires, policiers, politiciens, chefs de coteries, prêtres, fonctionnaires ; vaste programme, si l'on songe que ces gens-là existent aussi en puissance dans le parti adverse.

Ce qu'il y a de plus vivant en Cœurderoy, c'est sa jubilation et le bonheur pris dans la débâcle : « Ne vous inquiétez pas du sort de la révolution, elle sera mieux dans les mains des individus que dans celles des partis. » Ou encore cette prémonition : « L'accord général de l'Humanité naîtra de la division des individus poussée à l'infini. »[...]

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