HEMINGWAY ERNEST (1899-1961)
Les premiers romans
Il eut beaucoup de mal à se réadapter. Il rompit avec ses parents, qui ne comprenaient pas ses difficultés, reprit du travail comme journaliste (au Toronto Star), épousa Hadley Richardson et vint s'installer à Paris dès 1921. Son ambition était d'écrire. Il s'imposa une discipline rigoureuse, se mêla très peu aux autres expatriés américains, comme on le voit dans Paris est une fête, fréquenta avant tout Gertrude Stein et Sylvia Beach, qui ont toutes les deux parlé de lui dans leurs mémoires (Autobiographie d'Alice B. Toklas et Shakespeare and Company). Guidé par Gertrude Stein et le poète Ezra Pound, il s'efforça d'atteindre à un style aussi dépouillé et laconique que possible dans des récits très concentrés où il distillait l'essentiel de son expérience de la vie et de la mort – dans La Grande Rivière au cœur double par exemple. Son premier recueil de nouvelles, De nos jours (In Our Time), parut à New York en 1925, mais n'attira guère l'attention.
C'est seulement lorsqu'il publia, en 1926, Le soleil se lève aussi(The Sun also Rises) que Hemingway réussit à s'imposer. Le livre devint aussitôt un best-seller. Le titre est un rappel de l'Ecclésiaste (chap. I, 3-7), et le sujet en est la génération perdue. On y suit les allées et venues à Paris, puis à Pampelune, pendant les fêtes de la Saint-Sébastien, d'un groupe de jeunes gens complètement désaxés par la guerre. Le monde où ils évoluent est absurde. Tout n'y est que vanité. Ils ont beau s'agiter, boire, essayer de partager la passion des aficionados espagnols pour les courses de taureaux, ils ne réussissent pas à meubler le vide de leur vie. Il leur faut toute leur volonté pour ne pas céder au désespoir ni sombrer dans le chaos des cauchemars. Ils ont peur de la nuit et, le jour, ils tâchent de se raccrocher à des occupations précises, à des rites : celui de la conversation, celui de la pêche, celui des courses de taureaux ; ils parviennent ainsi, tant bien que mal, à donner une forme et un minimum de sens à leur vie et à oublier le néant au-dessus duquel ils sont suspendus.
C'est seulement dans son second roman, L'Adieu aux armes (A Farewell to Arms, 1929), avec un retard de dix ans sur les événements, que Hemingway a osé aborder le sujet de cette guerre qui l'avait si profondément marqué. Une des règles de son esthétique implicite est, en effet, qu'une émotion ne doit être évoquée qu'une fois l'émoi passé. L'Adieu aux armes est un livre ironique. Le titre est emprunté à un poème patriotique anglais, mais on y voit tout au long que la guerre n'a aucun sens (plus particulièrement pendant la retraite de Caporetto) et que l'amour ne vaut pas mieux. Le héros, en effet, ambulancier américain comme l'auteur, après avoir conclu une paix séparée, c'est-à-dire déserté, et être passé en Suisse avec une jeune infirmière anglaise qu'il aime d'un grand amour sans phrases, s'aperçoit bientôt que le Destin auquel il croyait avoir échappé, en fait l'a pris à son piège. Après quelques mois de grand bonheur dans la pureté de la neige et des Alpes, la jeune femme meurt dans une maternité de Lausanne à la suite d'un accouchement difficile, et le livre se termine sur une vision du héros partant sans but, le dos courbé sous la pluie.
Hemingway lui-même n'avait pas connu pareille épreuve. Il avait réussi à oublier l'horreur de la guerre et l'absurdité de la vie en s'adonnant avec passion à deux divertissements, les courses de taureaux et la chasse, auxquels il a consacré deux livres : Mort dans l'après-midi (Death in the Afternoon, 1932) et Vertes Collines d'Afrique (Green Hills of Africa, 1935).
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Écrit par
- Roger ASSELINEAU : professeur de littérature américaine à l'université de Paris-Sorbonne
Classification
Médias
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