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HEMINGWAY ERNEST (1899-1961)

Mort de l'individualisme et « engagement »

Après le succès de ses premiers romans et son second mariage, il s'était installé en 1928 à Key West, à l'extrême pointe de la Floride, toujours en marge des États-Unis. Il s'en éloigna même davantage quelques années plus tard en allant à Cuba où il résida (aux environs de La Havane) jusqu'en 1960. Tous ses loisirs se passaient à pratiquer sur son yacht, le Pilar, la pêche à l'espadon dans la mer des Antilles. Bien que ce fût alors la « crise » aux États-Unis, il semblait complètement détaché des problèmes sociaux et préoccupé uniquement d'exploits sportifs et de littérature.

En fait, cependant, il s'était peu à peu rendu compte qu'il est difficile à l'individu isolé de faire seul son salut et qu'on ne peut pas vivre indéfiniment à l'écart des autres. Telle est la leçon de En avoir ou pas (To Have and Have Not, 1937), roman assez décousu dont le héros, qui se nomme Harry Morgan comme le célèbre boucanier, est obligé, faute d'argent pour nourrir les siens, de se lancer dans toutes sortes d'aventures où, malgré tout son cran, il finit par succomber. Il incarne avec une vitalité extraordinaire l'individualiste américain, l'homme de la « frontière » qui, pour défendre son droit à l'existence va jusqu'à la révolte armée contre les pouvoirs établis, mais qui, au moment de mourir, constate que « de quelque façon qu'il s'y prenne, un homme seul est foutu d'avance ».

Pour qui sonne le glas, S. Wood - crédits : Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

Pour qui sonne le glas, S. Wood

Cette phrase marque la fin de l'individualisme quelque peu byronien de Hemingway. Il n'est plus question pour lui, en 1937, de paix séparée. La guerre civile espagnole fait rage. Le fascisme menace. Il est impossible dorénavant de vivre à part. Qu'on le veuille ou non, il faut choisir : se solidariser avec ceux qui « en ont » ou se révolter avec ceux qui n'« en ont pas ». Hemingway n'hésita pas. Ses sympathies allaient aux seconds. On le vit bien lorsqu'il partit pour Madrid en 1937 pour le compte d'un groupe de journaux américains. Il fit de son mieux pour défendre la cause des Républicains espagnols devant le public américain, en écrivant en particulier le texte d'un film documentaire, La Terre espagnole, et une pièce de théâtre, La Cinquième Colonne(The Fifth Column, 1938). Contrairement à ses habitudes, il entreprit aussitôt d'écrire un roman où il mettait en œuvre ses souvenirs récents sans même leur laisser le temps de se décanter. Ce fut Pour qui sonne le glas(For Whom the Bell Tolls) qui parut dès 1940. L'épigraphe empruntée à un sermon de John Donne était significative : « Nul homme n'est une île complète en soi-même ; chaque homme est un morceau de continent, une partie du Tout... La mort d'un homme me diminue moi aussi, parce que je suis lié à l'espèce humaine. Et par conséquent n'envoie pas demander pour qui sonne le glas. Il sonne pour toi. » Tel est bien le sens de ce livre qui est tout ensemble un récit d'aventures passionnant, un roman de guerre véridique, une épopée exaltante, une tragédie antique et une méditation sur le destin de l'homme. Car, à propos d'un acte de sabotage très localisé, à l'arrière des lignes franquistes, Hemingway évoque le destin de l'humanité tout entière. Le pont que le héros, Robert Jordan, a pour mission de faire sauter n'est pas seulement le centre de la guerre civile espagnole et d'un affrontement plus vaste entre le fascisme et l'antifascisme, il est le moyeu de la roue du destin qui, dans un mouvement giratoire irrésistible, entraîne aussi bien que les personnages du roman l'humanité tout entière.

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris-Sorbonne

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Ernest Hemingway correspondant de guerre - crédits : Kurt Hutton/ Getty Images

Ernest Hemingway correspondant de guerre

Pour qui sonne le glas, S. Wood - crédits : Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

Pour qui sonne le glas, S. Wood

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