PIGNON-ERNEST ERNEST (1942- )
Le dessinateur, peintre, créateur d'événements à travers le monde Ernest Pignon-Ernest est né à Nice en 1942.
Travaillant la ville comme un matériau plastique et symbolique, Ernest Pignon-Ernest crée des œuvres éphémères par nature dont les traces nous sont offertes, dans les musées et dans les galeries, également dans les livres et les films : dessins préparatoires faits à l'atelier, photographies des rues métamorphosées par ses interventions.
Rimbaud, Pasolini, Caravage...
À partir de 1978, sur de multiples murs de Paris, quatre cents sérigraphies montrent, grandeur nature, interrogeant les passants et la ville, poète présent au cœur des agitations urbaines, Arthur Rimbaud, attentif et distrait, manifestant sa capacité de s'absenter, d'être toujours un autre, d'être à la fois pleinement ici et toujours ailleurs. Son image est proche de la photographie d'Étienne Carjat, des dessins de Verlaine et de Félix Régamey. En même temps, elle est la figure, « résolument moderne », d'un jeune homme d'aujourd'hui. Errant, nomade, vivant sans domicile fixe, il anticipe une situation qui sera de plus en plus fréquente. Figure flegmatique, il s'oppose à la fois aux sourires des publicités commerciales et aux poings dressés, aux bouches hurlantes des affiches militantes. Collée au cœur de ce que les situationnistes ont nommé notre « société spectaculaire marchande », cette effigie ne vend rien, ne se donne pas en spectacle. Lorsque trop de théoriciens font l'éloge d'une « communication » qu'ils ne définissent pas, cette figure exprime la part d'incommunicable qui est en chacun de nous : un noyau d'absence et de refus. Simultanément, l'artiste souligne, à propos de cette œuvre, ses éléments de fragilité : fragilité du poignet dessiné ; fragilité du support, papier journal vierge, livré au vent et à la pluie. La disparition fatale, en quelque sorte « programmée », en tout cas acceptée, est (selon l'artiste lui-même) l'un des éléments constitutifs de l'œuvre, poétique et troublant. Cet éphémère renvoie aussi à l'« éternité retrouvée » dont parle un poème de Rimbaud.
Pasolini est une autre figure sur laquelle Ernest Pignon-Ernest revient souvent : poète, romancier, cinéaste, homme de sensualité et de révolte, déchiré, hanté par la mort. L'artiste le met en rapport avec un autre créateur « excessif », avec un autre créateur « tragique » : Caravage, lorsque celui-ci, pour peindre la tête coupée de Goliath, fait son autoportrait. Ernest Pignon-Ernest représente aussi Pasolini sous la forme d'un écorché, inspiré d'une œuvre de Michel-Ange. Cet écorché est à la fois une façon d'évoquer la douleur extrême, une manière de souligner l'importance des recherches anatomiques dans l'acte pictural et une réflexion sur le rôle de la peau dans la constitution du sujet humain, dans ses rapports avec le monde, rôle de la peau que soulignent aussi des recherches aussi différentes que celles du psychanalyste Didier Anzieu, des philosophes Gilles Deleuze et François Dagognet.
C'est d'ailleurs comme écorché que, dans la Préface à un livre sur l'œuvre d'Ernest Pignon-Ernest (1990), Paul Veyne, professeur au Collège de France, définit l'artiste : « Ernest appartient à la variété douce et même joviale des écorchés vifs. » Montrant Rimbaud et Pasolini, Ernest Pignon-Ernest peint en même temps son autoportrait masqué et le portrait de certains aspects que chacun de nous porte en lui, le portrait de certains de nos désirs, de certaines de nos indifférences, de certaines de nos douleurs.
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Écrit par
- Gilbert LASCAULT : professeur émérite de philosophie de l'art à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art, écrivain
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