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PIGNON-ERNEST ERNEST (1942- )

Noms et anonymes

À côté des œuvres liées à des noms célèbres, d'autres travaux du peintre concernent des anonymes, ceux que Jean Dubuffet appelait les hommes du commun. Ce sont souvent des hommes et des femmes de douleur. De telles interventions (contrairement à ce que quelques critiques ont parfois pensé) sont moins des affirmations militantes que des interrogations, éthiques et métaphysiques, sur le sort que nos sociétés réservent aux humains.

En 1971, au moment du centenaire de la Commune de Paris, Ernest Pignon-Ernest colle des centaines de sérigraphies (représentant des cadavres anonymes) sur l'escalier du Sacré-Cœur de Montmartre, sur les marches de la station de métro Charonne, sur les pavés de la Butte-aux-Cailles, autour du Père-Lachaise. Il s'agit, en partie, de recherches formelles, liées à la situation des œuvres, disposées au sol, en pleine rue, perçues par un passant en mouvement. « La solution, dit l'artiste, passait par un travail plastique de distorsion du corps, de multiplication des points focaux ; c'était une espèce de cubisme assimilé, camouflé sous un réalisme apparent. »

En 1975, à Tours, à Nice, à Avignon, à Paris, huit cents sérigraphies, représentant une femme, protestent contre les souffrances et les morts des femmes, contre la loi qui, alors, punissait l'interruption volontaire de grossesse. Toujours en 1975, à Avignon, quatre cents sérigraphies, collées au bas des maisons, mettent en évidence le sort d'ouvriers immigrés, parfois logés dans des caves, dans des lieux sordides. En 1975 encore, au moment du jumelage Nice-Le Cap, huit cents sérigraphies, collées dans les rues de Nice, soulignent le scandale de l'apartheid, montrant, grandeur nature, une famille enfermée derrière de hauts grillages. À Grenoble, en 1976, six cents sérigraphies auxquelles se superposent d'autres techniques (pochoirs, bombages, déchirures, etc.) montrent les effets du travail industriel sur le corps des ouvriers : surdité, troubles de la vision, maladies des poumons ou de l'estomac, etc.

En 1977, deux sérigraphies, placardées sur les murs d'immeubles éventrés à l'occasion d'opérations immobilières, participent à la lutte contre les expulsions. Elles présentent aussi la situation des exilés, de ceux qui sont chassés de leur ville ou de leur village. Ici, encore, le travail du peintre anticipe le pire, encore à venir à cette époque.

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Écrit par

  • : professeur émérite de philosophie de l'art à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art, écrivain

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