RENAN ERNEST (1823-1892)
De L'Avenir de la science à l'Examen de conscience philosophique (1889), pendant quarante ans, bien qu'il eût paru se livrer avec volupté au jeu des antinomies, Renan est resté fidèle à ses options initiales. Qu'il traite d'histoire, de morale ou de philosophie, de critique littéraire ou religieuse, qu'il médite sur la politique ou sur la réforme de l'enseignement, qu'il adopte la forme d'essai, de lettre, de dialogue, de drame, ce sont toujours les mêmes traits qu'il révèle : négation du surnaturel ; confiance en la Nature dont les lois n'ont jamais subi d'infraction ; affirmation de la primauté de l'esprit et du progrès de la raison, continu, malgré de passagers échecs ; foi en l'homme. Aussi n'est-il pas excessif de dire que l'œuvre de Renan résume à elle seule, par ses défauts comme par ses qualités, le xixe siècle français.
Une carrière exemplaire
Après avoir marqué profondément son temps, Renan vit surtout aujourd'hui par les Souvenirs d'enfance et de jeunesse (1884) qui retracent son itinéraire intellectuel depuis sa naissance à Tréguier, sa formation à Saint-Nicolas-du-Chardonnet (1838-1841) et au grand séminaire (1841-1845) jusqu'à sa sortie de Saint-Sulpice. Il se croyait la vocation religieuse : ses études le convainquirent de la fragilité des bases du christianisme et il rompit avec l'Église, « dignement et gravement ». Il n'a pas vécu une crise métaphysique comme Jouffroy, ni une révolte politique comme Lamennais : il a renoncé par probité d'esprit à une carrière ecclésiastique qui s'annonçait facile et brillante. Enclin par tempérament au respect des corps constitués, il substitua naturellement au prestige de l'Église celui du savoir officiel représenté pour lui par le Collège de France et l'Institut ; dès sa sortie du séminaire, il songe à une chaire au Collège de France ; en même temps qu'il conquiert ses grades universitaires, il est couronné deux fois (1846 et 1848) par l'Académie des inscriptions pour des mémoires érudits. Il restera toujours fidèle à son programme juvénile de 1848 qu'il réalisera grâce à l'appui de sa sœur Henriette : « Poursuivre à tout prix mon développement intellectuel. Je ne vis que par là : sentir et penser. »
L'Institut le chargea d'une mission archéologique en Italie (1849-1850). À son retour, il donna à ces antichambres académiques qu'étaient alors le Journal des débats et la Revue des Deux Mondes les articles que recueilleront ses Études d'histoire religieuse (1857) et ses Essais de morale et de critique (1859). À trente-trois ans, il entra à l'Académie des inscriptions.
Ses tendances l'opposaient au régime de Napoléon III dont il dénoncera plus tard (La Réforme intellectuelle et morale, 1871) le cléricalisme et la vulgarité matérialiste. Mais il était l'ami des bonapartistes libéraux, notamment de Mme Cornu, dont l'influence sur l'empereur obtint pour lui une mission scientifique au Liban et contribua à sa nomination au Collège de France (1862). Les persécutions qu'il subit de la part des catholiques le contraignirent à quitter sa chaire, mais sa révocation (1864) lui donna l'auréole de victime du régime impérial : aussi, quoique par sympathie il penchât vers une monarchie constitutionnelle, la troisième République le combla-t-elle d'honneurs. Élu à l'Académie française (1878), administrateur du Collège de France (1883), il réussit dans la société laïque une carrière aussi glorieuse que celle qu'il aurait faite dans l'Église. Au moment de sa mort qui survint à Paris, son génie conciliant, son prodigieux labeur lui avaient valu un rayonnement analogue à celui des grands esprits encyclopédiques de la Renaissance, et il paraissait incarner la France officielle.[...]
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Écrit par
- Jean GAULMIER : professeur émérite à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
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