SÁBATO ERNESTO (1911-2011)
Comme la plupart de ses compatriotes écrivains, Ernesto Sábato, né en 1911 à Rojas, province de Buenos Aires, est préoccupé d'angoisse métaphysique et de problématique littéraire, mais il est aussi un humaniste militant qui n'hésite jamais à prendre position sur les grands problèmes philosophiques et politiques, nationaux ou mondiaux. Dans sa jeunesse, il a flirté avec l'anarchisme et le communisme avant d'adhérer à une sorte d'existentialisme humanitaire qui le rapproche de Sartre et, surtout, d'Albert Camus. Dans les années 1930, après avoir terminé un doctorat en physique, il séjourne souvent à Paris où il travaille au laboratoire Curie tout en fréquentant le groupe surréaliste d'André Breton. Ce n'est qu'au début des années 1940 qu'il fait ses premiers pas en littérature. Il publie un essai, Uno y el Universo, 1945 (Un et l'Univers), où il prend ses distances avec ce qui avait été jusqu'alors l'essentiel de son activité, la science. Suivront dans le temps d'autres essais comme Hombres y engranajes, 1951 (Hommes et engrenages), où il évoque la faillite de la civilisation occidentale, et El Escritor y sus fantasmas, 1963 (L'Écrivain et ses fantasmes), où il traite plus proprement de la littérature dont il est alors devenu un éminent praticien.
Sábato dit que la différence entre le romancier et le fou, c'est que le romancier peut aller jusqu'à la folie et en revenir. Juan Pablo Castel, le héros torturé d'El Túnel, 1948 (Le Tunnel), n'en reviendra pas. Dans ce premier roman de Sábato, le héros met fin à ses amours tumultueuses avec María en la tuant. Au-delà de l'anecdote, le roman est surtout la représentation conflictuelle d'une triple obsession : le désir d'absolu, l'incommunicabilité entre les êtres et l'amour, considéré à son tour comme une possibilité d'absolu et comme un exorcisme de la solitude silencieuse.
Le deuxième roman, Sobre héroes y tumbas, 1961 (Alejandra, trad. 1967), se veut une tétralogie qui met en scène une histoire d'amour tumultueuse, comme dans Le Tunnel, entre Martin et Alejandra ; la passion incestueuse d'Alejandra pour son père Fernando ; la pénible et tragique retraite vers la Bolivie du général Lavalle et des vestiges de son armée en déroute ; enfin, un « rapport sur les aveugles » dressé par Fernando, qui poursuit d'une aversion acharnée les aveugles en qui il voit une secte qui mène secrètement le monde. Ces quatre volets du roman s'organisent avec plus ou moins d'interférences directes ou symboliques. Car c'est aussi de symboles, voire d'allégories et de paraboles, qu'il s'agit ici : sur l'amour inaccessible ou impossible, sur l'histoire tragiquement exemplaire de l'Argentine, sur les forces obscures dont nous sommes le jouet, sur Buenos Aires, ville-pieuvre et labyrinthe viscéral, sur Alejandra elle-même, véritable personnification de l'Argentine. Tout se résoudra dans les flammes d'un incendie final, dont on ne saurait dire exactement s'il est vengeur ou purificateur.
De l'aveu même de l'auteur, Abaddón el exterminador, 1974 (L'Ange des ténèbres) est le dernier élément de la trilogie constituée par Le Tunnel et Alejandra. C'est un roman difficile à résumer tant il est fragmenté, proliférant, largement autobiographique : Sábato s'y représente, à travers un personnage double, à la fois comme actant contingent qui meurt et comme poète qui lui survit en se changeant en monstrueux porteur des forces du mal. Par ce procédé où se fondent la réalité et la fiction, L'Ange des ténèbres prétend à la catégorie de roman total. Par sa structure et son contenu, il rappelle parfois cet autre roman initiatique argentin de Leopoldo Marechal, Adán Buenosayres (1940).
L'œuvre romanesque[...]
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Écrit par
- Jean ANDREU : professeur agrégé d'espagnol, maître assistant à l'université de Toulouse-Le-Mirail
Classification
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