GERÖ ERNÖ (1898-1980)
Né et mort à Budapest, Ernö Gerö (de son vrai nom, Singer) fut un représentant typique de la seconde génération du Komintern, celle qui est venue aux affaires après l'éviction des chefs historiques du bolchevisme première manière. Son nom est toutefois associé, avant tout, à l'insurrection populaire hongroise de 1956 qu'il est censé avoir provoquée tant par l'incompréhension de la situation que par son attachement rigide aux méthodes de l'ordre stalinien.
La rigidité, voire une certaine sécheresse doctrinaire étaient, en effet, dans le caractère de ce militant et organisateur communiste, intellectuel inachevé comme tant d'autres de sa génération, acquis au bolchevisme dès l'âge de vingt ans et poursuivant depuis lors, jusqu'à la date fatidique de 1956, une carrière ininterrompue de « révolutionnaire professionnel ». Doté d'un visage ingrat, ascétique, Gerö était un militant exemplaire : discipliné, précis, infatigable, dévoué à la cause, et plus particulièrement à la haute idée qu'il se faisait de Staline, avec un fanatisme inébranlable. Courtois et plutôt timide, c'était un homme sérieux, peu porté à l'humour, préoccupé des affaires de son mouvement, dénué de tout intérêt pour les choses ordinaires de la vie. Sa culture se limitait aux références courantes du marxisme-léninisme, ou, plus exactement, de la vulgate stalinienne qu'il ressassait avec un visible plaisir. Il est devenu dictateur économique de son pays natal sans la moindre connaissance de la chose économique. Étudiant en médecine à ses débuts, « il en a gardé l'habitude de disséquer les problèmes avec la froideur du chirurgien. Mais dans sa manière de traiter les hommes, de les mépriser et de les haïr à l'extrême, de les écarter ou de les écraser sans scrupule au nom de l'Idée, il y avait aussi du moine et de l'inquisiteur » (Zoltán Vas, Ma Vie agitée, Budapest, 1980, pp. 46-47).
Après avoir joint le P.C. hongrois en 1918 et participé à l'éphémère Commune de Béla Kun (1919), Gerö a dû fuir la Hongrie. Organisateur du P.C. clandestin, il quitte Vienne et rentre à Budapest en 1922 : bientôt arrêté, il est condamné à une lourde peine, mais sera « échangé » en 1924, à la demande de Moscou, contre d'autres prisonniers. Dorénavant, il passera son temps entre Vienne, Paris et Moscou comme employé du Komintern. Par rapport à l'état-major des communistes hongrois exilés après la défaite de 1919, c'est encore un homme jeune, inexpérimenté, sans vraies racines dans le pays natal. Mais c'est précisément de ce type de militant qu'aura besoin Staline une fois l'infernale machine des purges mise en mouvement. Tandis que Béla Kun et ses plus célèbres compagnons disparaissent dans les souricières de Staline, Gerö, lui, se promène comme émissaire du Komintern et commence à se faire un nom.
Il est « instructeur » du Parti communiste français (1931), jusqu'au moment où, en 1932, la police française l'arrête et l'expulse.
À son retour à Moscou, Dimitri Manouilski, l'influent secrétaire du Komintern, l'engage dans l'appareil central où il participe aux préparatifs du septième et dernier congrès de l'Internationale communiste (1935).
Pendant la guerre d'Espagne, il est l'homme de confiance de Moscou sur le terrain ; sous le pseudonyme de Pedro, il se distingue par son attitude brutale et impitoyable, en particulier dans la lutte contre les militants du P.O.U.M. (Parti ouvrier d'unification marxiste).
Une nouvelle étape de sa vie commence lorsque, de retour à Moscou, Manouilski le prend comme secrétaire politique. Il deviendra dès lors une sorte d'éminence grise du Komintern, au courant de tout ce qui se passe et se prépare. En contact quotidien avec la haute bureaucratie de l'État soviétique,[...]
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Écrit par
- Pierre KENDE : directeur de recherche au C.N.R.S.
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