Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CASSIRER ERNST (1874-1945)

Une symbolique des activités humaines

L'évolution de la pensée de Cassirer est inscrite dans cette biographie, surtout dans les différents volumes des principaux ouvrages d'un esprit universellement curieux : Le Problème de la connaissance dans la philosophie et la science contemporaines et La Philosophie des formes symboliques. On pourrait caractériser ainsi cette grande œuvre : en ce début du xxe siècle, elle tente de substituer à l'anthropologie philosophique classique une anthropologie qui intègre à la fois les progrès de la science physique et les découvertes des sciences sociales. Cassirer mène un double effort, d'une part, pour pousser à ses dernières conséquences transcendantales la révolution copernicienne de Kant et, d'autre part, pour retrouver, en marge de l'hégélianisme et des gnoses de l'histoire, une anthropologie où l'homme se définira comme un animal symbolicum. La perspective n'est plus une perspective théorique de type platonicien, mais une perspective éclairée par le progrès des sciences modernes de la culture.

Pour Cassirer comme pour le criticisme, l'erreur du rationalisme et de l'empirisme est d'avoir opté pour une théorie où la connaissance se définit comme une « copie des choses ». La métaphysique classique, que dénonce l'expérience scientifique, oscille entre le primat de l'être et le primat de la connaissance, entre le primat de l'objet et celui du sujet. La science présente la réalité comme une synthèse d'objectivité de plus en plus haute ; est « objectif » ce qui est invariant, mais l'invariance se construit lentement par la confrontation et la correction mutuelle des hypothèses. Le mécanisme intime qui constitue la connaissance, comme l'être du reste, nous est donné par la démarche mathématique et physico-mathématique : l'organisation de plus en plus intégrée de l'expérience, c'est-à-dire la découverte du meilleur modèle fonctionnel. Or, c'est là l'essence même du « symbole » qui exprime l'invariant derrière les variations.

On assiste chez Cassirer à une réconciliation du mythe, de l'art, de la religion, de toutes les « formes culturelles » et de la science, et tel est bien selon lui le rôle de la fonction symbolique. Son œuvre inventorie donc les « formes culturelles » et étudie chacune d'entre elles comme un mode d'objectivation. D'un côté, la phénoménologie cassirérienne met en relief la relativité et la différence de ces modes ; de l'autre, elle propose une vue systématique, toujours plus englobante, des formes culturelles.

Mythe et religion

Après avoir, dans Essai sur l'homme, appliqué à la forme culturelle qu'est le mythe, mieux, aux contenus mythiques livrés par l'ethnologie, les critères de la critique kantienne : espace, temps, nombre, Cassirer en dégage l'objectivité spécifique. L'objet mythique n'est pas – comme l'objet scientifique – un point de référence connu par ses relations ; il possède au contraire une valeur substantielle, il est un être personnalisé, doté d'un pouvoir vivant, un peu à la manière de l'archétype jungien : « La conscience mythique vit non au milieu des choses, mais de qualités sensibles, de physionomies. » Le projet fondamental de cette conscience mythique est le sacré.

Si l'on passe de la mythologie à la religion, c'est une autre forme culturelle que l'on découvre : sacrifice, prière, rituels du culte modifient le projet mythique. Pour le mythe le monde est fait de physionomies, pour la religion toute physionomie est suspecte : le divin est au-delà, son objectivation nous donne un objet de pure intériorité. Mais la forme même de la religion exige que le monde des choses et des physionomies soit conservé au cœur même de l'intention purificatrice[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

Ernst Cassirer - crédits : ullstein bild/ Getty Images

Ernst Cassirer

Autres références

  • LA PHILOSOPHIE DES FORMES SYMBOLIQUES, Ernst Cassirer - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 655 mots

    La Philosophie des formes symboliques (Die Philosophie der symbolischen Formen, 1923-1929) est considérée comme l'œuvre maîtresse du philosophe allemand Ernst Cassirer (1874-1945). Formé par le kantisme et héritier direct de l'Aufklärung, esprit encyclopédique, Cassirer a tenté la...

  • ART (Le discours sur l'art) - Iconologie

    • Écrit par
    • 4 355 mots
    ...Warburg réussit à interpréter des contenus jusqu'alors ignorés ou inconnus. Son influence sur l'étude historique de l'art, associée à celle du philosophe Ernst Cassirer qui étudiait la civilisation humaine en tant qu'ensemble des « formes symboliques » des différentes attitudes philosophiques, fut décisive...
  • AU DÉTOUR DU SENS. PERSPECTIVES D'UNE PHILOSOPHIE HERMÉNEUTIQUE (C. Berner) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 971 mots

    Au cours du xxe siècle, la philosophieherméneutique s'est développée selon deux axes distincts : le premier se laisse guider par le concept de compréhension qui, tant chez Heidegger que chez Gadamer, ne désigne plus un mode de connaître, mais une manière d'être ; le second, suivi en France...

  • CONTRAT SOCIAL

    • Écrit par
    • 4 449 mots
    ...contrats ont été effectivement conclus. Il s'agit seulement pour eux d'une hypothèse nécessaire à l'explication de la société actuelle. Comme l'a démontré Ernst Cassirer, la théorie du contrat est à cet égard une étape dans la transformation de la logique : on exige de la définition, non seulement qu'elle...
  • HERCULE À LA CROISÉE DES CHEMINS (E. Panofsky)

    • Écrit par
    • 1 025 mots

    Lorsqu'il publie en 1930 Hercule à la croisée des chemins (traduit de l'allemand par D. Cohn, Flammarion, Paris, 1999), Erwin Panofsky (1892-1968) enseigne l'histoire de l'art à l'université de Hambourg depuis neuf ans. Par bien des aspects, l'œuvre porte fortement l'empreinte de cet environnement...

  • Afficher les 8 références