Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

GOMBRICH ERNST HANS (1909-2001)

L'iconologie

Spécialiste de la Renaissance, Gombrich propose quelques reconstitutions de programme – ce qu'il appelle iconologie, selon son adaptation de la définition d'Erwin Panofsky, à savoir l'explicitation d'œuvres d'art par des textes auxquels on la réfère –, à propos de peintures mythologiques de Botticelli, de l'astrologie dans la Sala dei Venti à Mantoue, de Vénus secourant Adonis, du Jardin des délices de Jérôme Bosch (qui s'intitulerait avec plus de vérité : « La Leçon du Déluge »), et de l'Orion aveugle de Poussin. Mais ni la linguistique ni l'iconologie ne lui semblent rendre compte de l'étonnante plasticité des symboles, ou de l'extrême complexité de la perception d'une œuvre, qui ne se limite pas au décryptage d'un programme. Il préfère étudier l'enracinement philosophique (aristotélicien ou néo-platonicien) des allégories, des imprese, des traités d'iconologie, et de la longue tradition d'art académique. Ainsi les « universaux » représentés au plafond de la chambre de la Signature au Vatican sont-ils plus réels, plus importants, pour les contemporains de Raphaël, que les divers philosophes, savants et artistes qu'on a trop cherché à identifier.

Étudiant systématiquement, comme Warburg l'avait entrepris avant lui, les textes antiques et renaissants sur l'art, Gombrich analyse leurs effets sur la mentalité et la création : le mot d'ordre de retour à l'antique suscite la notion de fautes à corriger, et confirme l'idée de progrès, qui permet à Vasari d'écrire une histoire de l'art, souvent rétrospective ; la critique, les dimostrazioni deviennent les moteurs d'un art apprécié des seuls connaisseurs, voire créent un nouveau genre (par exemple, le paysage).

Confronté à la succession des styles les plus divers, qui s'accélère avec les ruptures brutales de l'art du xxe siècle, Gombrich repose la question fondamentale de Vasari et de Wölfflin : pourquoi l'art a-t-il une histoire ?

Pour y répondre dans la logique du décloisonnement scientifique inauguré par Warburg, il recourt, outre à l'introspection et à l'expérience quotidienne toujours présentées avec humour, aux sciences les plus variées : surtout à la psychologie expérimentale (de la perception, de l'enfant), un peu à la psychanalyse (à propos du goût, et non pas de la « régression » du verbal au visuel), mais aussi à l'anthropologie (perception et projection chez les « primitifs »), à l'ethno-histoire (le goût artistique comme élément des mœurs), voire à l'éthologie (la perception des différences chez les animaux). De toutes ces disciplines, Gombrich tire des exemples, des concepts, des lois sur les erreurs perceptives et leur correction, sur l'ambiguïté, qui n'est jamais perçue comme telle, sur les mécanismes de projection visuelle, etc., mais il ne se range jamais sous une bannière (gestaltisme ou béhaviorisme), et se garde de toute théorisation philosophique.

Plutôt que de l'éclectisme, il faut voir dans ce refus des explications globales une extrême prudence de méthode : suivant les travaux d'épistémologie de Karl Popper, Gombrich aime souligner combien les concepts ordinaires de l'histoire de l'art remontent à des philosophies fossiles, en particulier à l'« essentialisme » d'Aristote, qu'il s'agisse des catégories stylistiques, de l'explication causale, ou de cette idée de l'unité d'une époque, d'un « esprit », qui aboutit à l'historicisme de Hegel ou à l'« expressionnisme critique » de Malraux.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé de lettres classiques, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur d'histoire de l'art moderne à l'université François-Rabelais, Tours
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Autres références

  • L'ART ET L'ILLUSION, Ernst Gombrich - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 031 mots

    Ancien directeur et professeur de l'Institut Warburg, Ernst Gombrich (1909-2001) se présente avec insistance dans L'Art et l'illusion comme un disciple d'Ernst Kris, historien d'art et psychanalyste ayant mené avec lui des expériences sur la perception physionomique dans les œuvres...

  • ART (Aspects culturels) - L'objet culturel

    • Écrit par
    • 6 295 mots
    • 6 médias
    ...L'écueil, en effet, est l'idée du prétendu réalisme de Giotto qui constitue le leitmotiv de la presque totalité des études qui lui sont consacrées. Même Gombrich n'échappe pas à cette règle : « Giotto, explique-t-il, se demandait sans cesse comment se tiendrait un homme, quel geste ferait un homme qui prendrait...
  • ART (Aspects culturels) - Public et art

    • Écrit par
    • 6 256 mots
    • 1 média
    ...des objets et la part qu'y prennent les variations culturelles (au sens anthropologique) et historiques ainsi que, du même coup, éducatives. Ainsi Ernst Gombrich (qui cite cette phrase de Constable : « L'art de voir la nature est, aussi bien que l'art de déchiffrer les hiéroglyphes, une chose qui doit s'apprendre...
  • BONY JEAN (1909-1995)

    • Écrit par
    • 942 mots

    Historien français de l'art et de l'architecture du Moyen Âge. Pour le public cultivé, Jean Bony restera l'auteur de la synthèse magistrale sur l'Architecture gothique en France aux XIIe et XIIIe siècles, qu'il écrivit en anglais et que publia l'université de Berkeley...

  • CARICATURE

    • Écrit par
    • 8 333 mots
    • 8 médias
    Gombrich a mis en évidence le caractère antithétique de la caricature : « Le mot caricature et l'institution du même nom datent seulement des dernières années du xvie siècle, et les créateurs de cet art ne furent pas les diffuseurs d'images, mais ceux qui furent les plus sophistiqués et...
  • Afficher les 8 références