KANTOROWICZ ERNST (1895-1963)
Un coup de maître
Ces années passées entre le doctorat et la publication, en 1927, de L'Empereur Frédéric II furent marquées par un travail intense et un grand enthousiasme. La première édition de cette monographie fit l'effet d'une bombe : dans une fort belle reliure, 650 pages dépourvues de notes, de bibliographie et d'appareil critique, révélaient un jeune auteur pratiquement inconnu qui offrait dans un style élégant un portrait personnel et passionné de l'empereur, mêlant faits historiques et éléments légendaires pour recréer toute l'atmosphère et la sensibilité de l'époque et servir de modèle au présent.
Le succès fut tel que deux rééditions en allemand suivirent en 1928 et 1931, ainsi qu'une traduction anglaise la même année, et une autre en italien en 1939. Les milliers d'exemplaires vendus n'évitèrent pas à Kantorowicz d'âpres jugements : présenté en mythographe plutôt qu'en historien, son honnêteté intellectuelle fut mise en doute. Mais ses critiques furent confondus et la solidité de ses recherches démontrée grâce à la parution, en 1931, du volume complémentaire présentant les sources et la documentation de l'œuvre, annoncé dès la première édition.
Du fait de cette soudaine renommée, l'université de Francfort l'invite à enseigner l'histoire médiévale. C'est à cette période qu'il se met à étudier la période de l'interrègne qui suit la mort de Frédéric II, des recherches qui aboutiront à son œuvre finale, Les Deux Corps du roi. Pour la leçon inaugurale de son cours, le 14 novembre 1933, intitulée « L'Allemagne secrète », il exposa sa vision de la culture allemande. Ancrée dans la tradition qui part de l'Antiquité classique et inspire la spiritualité médiévale de l'Europe chrétienne, celle-ci s'est muée avec la création des États nationaux en un courant souterrain, dont on perçoit de loin en loin les résurgences, comme dans le cas de la poésie romantique. Cette culture recueillait donc en elle le legs antique et médiéval et s'insérait dans une dimension universelle. Cette conception plaçait Kantorowicz dans une opposition complète de termes par rapport à l'idéologie nazie, raciste et totalitaire.
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Écrit par
- Paola MAFFEI : chercheur d'histoire du droit médiéval et moderne à l'iniversité de Sienne, faculté de droit
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