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LUBITSCH ERNST (1892-1947)

L'Europe séduit l'Amérique

Sa silhouette à la Bonaparte devint vite célèbre à Hollywood. C'était un petit homme trapu, au sourire malicieux, un gros cigare aux lèvres, l'œil pétillant, une mèche noire tombant sur son front. Il faisait partie de ces innombrables réalisateurs européens qui avaient dû s'exiler aux États-Unis, et qui, célèbres ou obscurs, ont fécondé le cinéma américain : Murnau, Stroheim, Ford, Lang, Minnelli, Hitchcock, René Clair, Ophuls, Renoir, Polanski, Forman...

Le secret de la réussite de Lubitsch est sans doute paradoxal : loin de renier ses racines, sa culture, il va au contraire exprimer au cœur du Nouveau Monde l'esprit de la civilisation européenne. Jamais il n'essaiera de faire des « films américains ». S'il sait profiter des moyens que l'Amérique lui donne, il s'en sert pour raconter des histoires qui se déroulent entre Londres, Vienne et Paris. Là encore, il s'adapte sans la moindre concession. Il a parfaitement compris que les Américains admirent et envient notre art de vivre, qu'ils ont besoin de trouver leur identité face à une Europe fidèle à elle-même, fière de ses traditions et de son art (au contraire, nous devenons méprisables à leurs yeux quand nous cherchons à les imiter). Jean Domarchi, l'un des premiers critiques à reconnaître le génie de Lubitsch, a bien vu l'enjeu d'une telle tragédie : « Il ne déplaît pas aux Américains de voir l'Europe sous les traits d'une civilisation de dilettantes, d'esthètes, une sorte de paradis de la femme [...]. L'Américain puritain et travailleur, jalousant inconsciemment le style de vie européen (et particulièrement latin), peut trouver dans l'apologie de ce qui chez lui ne serait absolument pas de mise (perdre agréablement son temps) la satisfaction de certaines tendances énergiquement refoulées. »

C'est pourquoi il serait injuste de voir en Lubitsch un brillant technicien confiné dans des sujets frivoles (opérettes et amourettes). Cette thèse, répandue par la critique allemande (cf. Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler), est inacceptable. Le style de Lubitsch ne saurait être séparé des thèmes qu'il aborde, encore moins de sa manière d'envisager les relations humaines ou l'histoire. Comme tout grand artiste, il appréhende le monde à travers sa propre expérience de l'écriture, de la mise en scène, des acteurs. Quand, dans Madame du Barry, il raconte la mort de Louis XV, il cherche son point de vue non dans quelque idéologie, mais là où le drame, l'émotion seront nécessairement intenses et justes. C'est à travers le chagrin de l'ancienne favorite qu'il nous fait suivre le déclin et l'agonie du roi. La scène finale, montrant l'exécution de Madame du Barry sous la Terreur, sera le symbole de la fin d'un monde. On comprend que Lubitsch ait pu être la cible des idéologues. Ceux-ci, tout en reconnaissant son talent, n'ont pu admettre ce regard où l'histoire apparaît à hauteur d'homme.

<it>Ninotchka</it>, d'Ernst Lubitsch - crédits : Metro-Goldwyn-Mayer Inc./ Collection privée

Ninotchka, d'Ernst Lubitsch

C'est sans aucun doute dans ses films les plus ambitieux, quand il aborde le communisme (Ninotchka, 1939) ou le nazisme (To be or not to be, 1942), qu'on peut saisir le mieux aujourd'hui cette clairvoyance masquée par l'humour et la légèreté. Certes, Lubitsch aurait pu dire, comme Sacha Guitry et François Truffaut : l'amour mène le monde. Dans Ninotchka, Greta Garbo, pure et dure militante stalinienne, sera conquise par le séduisant Melvyn Douglas, qui incarne tout ce qu'elle combat : l'oisiveté, les valeurs aristocratiques, le goût, le charme pétillant de la vie parisienne telle qu'on la rêve entre les deux guerres. Dans To be or not to be, la séduction est multipliée – si l'on peut dire – par le pouvoir d'une troupe de comédiens. Le charme, la ruse, les astuces[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-V-René-Descartes, critique de cinéma

Classification

Médias

Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch - crédits : John Kobal Foundation/ Moviepix/ Getty Images

Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch

<it>La Veuve joyeuse</it>, E. Lubitsch - crédits :  Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

La Veuve joyeuse, E. Lubitsch

<it>Ninotchka</it>, d'Ernst Lubitsch - crédits : Metro-Goldwyn-Mayer Inc./ Collection privée

Ninotchka, d'Ernst Lubitsch

Autres références

  • NINOTCHKA, film de Ernst Lubitsch

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    Juif berlinois, Ernst Lubitsch (1892-1947) quitte l'Allemagne dès 1922 et poursuit à Hollywood une riche carrière. Il y devient le plus européen des cinéastes américains, promoteur d'une comédie à la fois psychologique et sentimentale que l'on résumera par l'expression ...

  • ALLEMAND CINÉMA

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    Certains n'ont pas attendu le retour de la paix pour s'affirmer :Ernst Lubitsch, qui mêle un certain esprit berlinois et une touche d'humour juif, et qui, produit par Davidson, dirige lui-même ses comédies ; Paul Wegener, acteur et metteur en scène ; Richard Oswald, Joe May, Paul Leni, le scénariste...
  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

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    La nécessité commerciale n'est nullement avilissante, comme en témoignent les comédies de Lubitsch et les mélodrames de Josef von Sternberg. Lubitsch (1892-1947) a réalisé ses premiers films en Allemagne dès 1915, puis il s'est expatrié en Amérique en 1922. Très vite, il s'est imposé comme un réalisateur...
  • COMÉDIE AMÉRICAINE, cinéma

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  • COMÉDIE MUSICALE, cinéma

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