KIRCHNER ERNST LUDWIG (1880-1938)
La création de « Die Brücke »
Peu après son retour à Dresde, au printemps de 1904, Kirchner rencontre Bleyl avec les futurs membres du mouvement artistique qu'ils allaient créer. Kirchner entre d'abord en relation, par l'intermédiaire d'un camarade de Chemnitz, avec Erich Heckel (1883-1970). De trois ans plus jeune, Heckel s'est lui aussi résigné à s'inscrire en architecture, tout en n'ayant en tête que le désir de mener une carrière de peintre. En mai 1905 se joint à leur cercle Karl Schmidt, qui adopte bientôt le nom de Schmidt-Rottluff (1884-1976), parce qu'il est natif de Rottluff, village à proximité de Chemnitz.
Les jeunes étudiants partagent les mêmes intérêts et la même envie de se consacrer aux beaux-arts. Le 7 juin 1905, ils annoncent la fondation de leur groupe de peintres : Die Brücke, ou Le Pont. Six mois plus tard, en novembre, s'ouvre leur première exposition collective dans une librairie de Leipzig, avec des aquarelles, des dessins et des gravures.
Le programme de Die Brücke est rédigé par Kirchner en juin 1906 seulement, et publié le 9 octobre 1906 dans un journal régional. Dans les mois précédents, trois membres supplémentaires ont été associés au groupe : Emil Nolde (1867-1956), Max Pechstein (1881-1955) et Cuno Amiet (1868-1961). En octobre 1906 a lieu une deuxième exposition, comprenant surtout des gravures sur bois, dans les ateliers d'un fabricant de lampes des faubourgs de Dresde.
À l'initiative de Kirchner, Die Brückeexiste en tant qu'organisation autonome, communauté de vie et de travail, assurant la vente de sa production. Pendant les premières années, les quatre membres initiaux du groupe se concentrent sur la peinture de paysages et l'étude de la figure humaine. Dans l'atelier de Kirchner se tient régulièrement un « quart d'heure de nu », occasion de s'exercer collectivement à une expression directe dans une séance de dessin. Ici, pas de modèle en situation de pose, comme dans les académies. La jeune fille sollicitée par Kirchner est nue, mais elle garde un comportement ordinaire, libre de ses mouvements. Chacun, sans préméditation ni réflexion, est appelé à saisir les forces vitales qui traversent son corps. Seul but : capter la vie, transcrire sur le papier son dynamisme en traits rapides.
À l'époque, une grande partie de l'activité créatrice de Kirchner est vouée à cette représentation de nus évoluant librement dans son atelier. Dans des dessins au fusain de grand format ou des tableaux, l'artiste se propose de rendre compte d'une perception originelle et authentique. Vision anticonformiste, dirigée consciemment à la fois contre l'académisme et contre le « bourgeoisisme ». Son fondement : la volonté de retrouver une pureté première. D'où le recours à une stylisation, à des modes d'expression grossièrement élémentaires. La gravure sur bois, qui oblige à simplifier les volumes, est un moyen rudimentaire idéal que Kirchner se met à pratiquer abondamment.
L'été, c'est en pleine nature que cette peinture de nus est transférée, sur les bords du lac de Moritzbourg, près de Dresde. Durant les vacances de 1909, 1910 et 1911, Kirchner et Heckel, accompagnés de jeunes filles, prennent pension à l'auberge du lieu. À bas les entraves de la civilisation. Les deux peintres jettent sur la toile, en aplats de couleurs vives, leur bonheur de baignades paradisiaques dans la nudité des corps.
Marqué par les arts d'Océanie et d'Afrique noire, qu'il a découverts au musée ethnographique de Dresde, Kirchner en vient à une simplicité schématique des formes, à un contraste systématique dans l'équilibre des volumes. Par ailleurs, les fresques murales des temples bouddhiques d'Ajanta, en Inde, qu'il découvre par hasard dans l'ouvrage d'un archéologue britannique, John Griffith, et qu'il copie,[...]
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Écrit par
- Lionel RICHARD : professeur honoraire des Universités
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...de Max Pechstein (1881-1955) et, pour un an seulement, d'Emil Nolde (1867-1956), qui a accepté de s'y intégrer sur la proposition de Schmidt-Rottluff. La tête pensante en est Kirchner, un peu plus âgé que ses camarades. Sur un bois gravé, il représente en 1905 une vue de Dresde : le pont de la reine...