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MACH ERNST (1838-1916)

La philosophie de la connaissance de Mach

Mach écrivait, dans la préface à L'Analyse des sensations : « La même considération sous-tend mes écrits d'épistémologie de la physique et mes recherches en physiologie des sensations, celle que l'on doit éliminer tout élément métaphysique comme superflu et contraire à l'économie de la science. »

C'est autour de cette exigence centrale que Mach a développé une philosophie de la connaissance. S'il a néanmoins répété ne pas revendiquer le titre de philosophe, c'est précisément en réaction contre la philosophie spéculative allemande, car, disait-il, « le pays du transcendantal m'est fermé » (La Connaissance et l'erreur). Mais il savait bien que la science et la philosophie ne sont pas étrangères l'une à l'autre, et qu'elles poursuivent un même but ; leurs frontières se déplacent, et c'est précisément sur cette ligne que Mach se tient : il est philosophe des sciences au même titre que Duhem et Poincaré, ses contemporains, avec lesquels il se retrouvait d'ailleurs souvent en accord bien qu'il fût avant tout héritier de la tradition empiriste de Berkeley, Hume et Mill. « Je n'ai pas voulu introduire une nouvelle philosophie dans la science, mais la libérer d'une philosophie vieille et dépassée » (ibid.). Il voyait son entreprise comme celle d'une « clarification philosophique de la méthodologie scientifique ».

Outre le refus de la métaphysique, l'idée d'unité de la science est décisive dans ses choix : ce qu'il recherchait, dès L'Analyse des sensations, c'est un point de vue que l'on ne doive pas abandonner dès que l'on passe d'une science à une autre, « car toutes les sciences forment ultimement un tout ». La diversité des disciplines scientifiques est d'origine purement contingente et accidentelle. (C'est pourquoi, recherchant la seule base possible de la science, Mach la trouve dans les éléments des complexes de sensations. Par ailleurs, la réunification des sciences se fera sous le signe d'une phénoménologie mathématique, en raison du caractère exemplaire des mathématiques par rapport à l'économie de pensée.)

Les conceptions philosophiques de Mach, exposées de façon élaborée dans La Connaissance et l'erreur, ont été développées en contrepoint à ses analyses épistémologiques. Celles-ci l'ont conduit à « écarter les faux problèmes qui entravent la recherche scientifique », en ne proposant à celle-ci qu'une règle négative. Le scientifique ne connaît en effet aucun principe intangible, il sait que même les conceptions qui lui paraissent les plus fondées et les plus sûres ne sont que provisoires et peuvent être modifiées si l'expérience l'exige.

La connaissance et l'erreur relèvent de processus mentaux identiques, et Mach avait bien conscience qu'il fallait quelque chose de plus que l'observation sensorielle pour choisir entre elles et poser des jugements scientifiques. Car il ne niait pas la nécessité de la théorie, même si celle-ci n'est que provisoire et si, de toute façon, selon lui, l'on doit n'y employer que des propositions d'où l'on puisse déduire des énoncés sur des phénomènes observables. Certes, les concepts sont des entités mentales, ils n'existent pas comme tels, mais, contre le nominalisme, Mach affirmait qu'ils sont autre chose que des mots : ils sont stables et riches de contenu parce qu'ils sont chargés d'histoire et d'expérience. L'abstraction est décisive, dans la recherche, et procède d'une sorte d'intuition à partir des faits ; mais les concepts sont distincts des faits, et modifiables. C'est, par ailleurs, le concept qui fait la science dans sa spécificité, au contraire de l'art qui est essentiellement[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS

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La critique et le regard porté sur l'œuvre littéraire - crédits : D.R.

La critique et le regard porté sur l'œuvre littéraire

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  • DESCRIPTION ET EXPLICATION

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    • 1 média
    ...immédiatement pour l'espace et le temps, ce qui se réalise par des détours pour les autres éléments sensibles, la notion de fonction permet de représenter beaucoup mieux les relations des éléments entre eux... Ainsi, les notions vulgaires de cause et d'effet deviennent superflues » (E. Mach, chap. xvi).
  • EINSTEIN CARL (1885-1940)

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    ...langues anciennes, l'histoire de l'art. C'est une période de lecture intensive, de Kant et de Nietzsche en particulier, mais surtout du philosophe-physicien Ernst Mach, fondateur avec Avenarius de l'empiriocriticisme et qui, avec l'esthéticien Konrad Fiedler, lui fournira les outils conceptuels décisifs pour...
  • EMPIRISME

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    ...transcendantale de la nécessité est une conception téléologique). D'un autre côté, la conception empiriste la plus influente était celle du physicien et philosophe Ernst Mach, qui tentait de construire l'objet physique à partir d'une analyse psychologique des sensations (d'où l'appellation d'« empirisme psychologique...
  • GESTALTISME

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    ErnstMach et Christian von Ehrenfels représentent le lien essentiel entre la psychologie de la sensation et celle qui procède de l'école autrichienne. Mach publie en 1886 son œuvre capitale Die Analyse der Empfindungen und das Verhältnis des Physischen zum Psychischen (L'Analyse des sensations...
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