NOLTE ERNST (1923-2016)
Au cœur de la querelle des historiens
Il apparaît alors notoirement comme l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire du fascisme. Le grand tournant intervient avec la publication, en 1986, d’un article dans le quotidien libéral-conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung intitulé « Le passé qui ne veut pas passer ». Ce texte déclenche la « querelle des historiens » qui voit, entre autres, des intellectuels comme le philosophe Jürgen Habermas et l’historien Hans-Ulrich Wehler s’opposer à Nolte. Si ces affrontements, qui tournent essentiellement autour de la place de la Shoah et du IIIe Reich dans l’histoire allemande, se révèlent peu fructueux sur le plan scientifique, ils constituent la dernière grande controverse publique avant la chute du mur de Berlin en 1989. Ernst Nolte est violemment critiqué pour son concept de « nœud causal », qui interprète le national-socialisme comme une réponse à la violence communiste, et surtout pour avoir établi un lien entre le Goulag et les camps d’extermination. Nolte analyse le IIIe Reich comme s’il s’agissait d’une période normale dans l’histoire allemande et il présente la Shoah dans la continuation des crimes commis au cours du xxe siècle, notamment par les bolcheviks, et non comme un événement spécifique et exceptionnel. Ces idées étaient déjà contenues en germe dans son livre sur L’Allemagne et la guerre froide, paru en 1974, et Nolte les développe dans La Guerre civile européenne qui sort en 1987. Mais c’est au cours de la « querelle des historiens » qu’elles sont instrumentalisées (selon Nolte) comme faisant « scandale » et mènent progressivement à l’isolement de l’auteur au sein de la communauté historienne. Si ses anciens élèves et amis réussissent encore, en 1993, à rassembler des historiens renommés pour constituer un volume d’hommage, la discussion tout en nuances par Nolte de certaines thèses révisionnistes fait déborder le vase. En 1994, le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung s’en prend violemment à cet intellectuel qui publiait pourtant dans ses colonnes et condamne des positions empreintes « de la folie de la période qu’il a étudiée ». Le verdict confine à une exclusion.
Les travaux de Nolte continuent cependant à être publiés et discutés, notamment en Italie et en France, où ses ouvrages sont régulièrement traduits. Ils reviennent sur le devant de la scène historienne lors de la publication, à la fin des années 1990, d’une correspondance scientifique avec l’historien français François Furet (1927-1997) sous le titre Fascisme et Communisme. François Furet se voit alors exposé après son décès à des critiques violentes, notamment de la part de l’historien Eric Hobsbawm, pour avoir engagé un dialogue avec « l’entreprise d’exonération des nazis poursuivie par Nolte ».
Ernst Nolte a continué à publier (notamment sur son propre site Internet), mais ses écrits témoignent plus que jamais d’une marginalisation cultivée par celui qui se considérait, selon l’historien allemand Nikolai Wehrs, comme la victime d’un glissement progressif vers la gauche, depuis les années 1960, du discours intellectuel.
Ernst Nolte est mort à Berlin le 18 août 2016.
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Écrit par
- Christoph BRÜLL : chercheur qualifié FRS-FNRS, maître de conférences à l'université de Liège (Belgique)
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