WIECHERT ERNST (1887-1950)
Originaire de Prusse-Orientale, Ernst Wiechert, né en 1887, est un des écrivains allemands dont l'œuvre, aussi bien littéraire que pédagogique, a le plus marqué la génération de l'entre-deux-guerres. Son propre destin s'articule d'ailleurs autour des deux conflits. Pendant la Première Guerre mondiale, il se trouve au front en qualité de soldat, puis d'officier : c'est pour lui le naufrage de tout un système de valeurs. Très profondément blessé moralement, il va se réfugier dans un système philosophique caractérisé par la haine de toute violence et un pessimisme radical en ce qui concerne l'avenir de notre civilisation. Cela ne l'empêche pas, d'ailleurs, de prendre la parole pour dénoncer les méfaits du national-socialisme. En 1933, il abandonne sa chaire d'enseignement pour se consacrer entièrement à son activité d'écrivain. Il sera donc l'un des rares écrivains allemands de quelque envergure qui préfère ce que l'on a appelé « l'émigration intérieure » à l'exil. Paradoxalement, cette attitude de refus passif du régime ne l'empêche pas, en 1938, d'intervenir vigoureusement et fort courageusement en faveur du pasteur Niemöller et de l'écrivain Eduard Spranger. Les lettres sans ambiguïté qu'il adresse aux puissants du jour lui valent un internement de deux mois à Buchenwald. Après l'effondrement du Troisième Reich, Wiechert se prend à espérer que l'Allemagne va retrouver le sens de ce qu'il considère comme les valeurs authentiques. Déçu par l'évolution politique, l'écrivain, dont l'audience connaît une baisse sensible, s'installe en Suisse où il meurt en 1950.
« Parfois incapable d'affronter la vie quotidienne, ni héros ni conquérant, de nature plus contemplative qu'active, très tôt enclin à sublimer ce qui sort de l'ordinaire et à prendre la fuite devant le réel pour se réfugier dans l'irréel. » Ce portrait sans complaisance de Wiechert par lui-même, pour partial qu'il soit (Wiechert a en fait osé, à plusieurs occasions, affronter à visage découvert le fascisme), donne pourtant une image assez exacte de sa philosophie. Dès 1924, il prêche le retour aux « vraies » valeurs, à la nature, à l'instinct, à l'émotion (Der Totenwolf) et il ne cessera de répéter ce message dans son œuvre, très abondante. La Commandante (Die Majorin, 1934) nous parle d'une humanité simple, désintéressée, se consacrant à des œuvres de bienfaisance dans le cadre un peu étriqué de la petite ville. Très caractéristique également, l'histoire de cet officier de marine (La Vie simple, Das einfache Leben) qui abandonne sa famille à la fin de la guerre pour aller vivre sur une île déserte, à l'abri des agressions du monde moderne. Les Enfants Jéromine (Die Jerominkinder, 1945-1947) mettent en scène un jeune paysan prussien épris de liberté, peu à peu déçu par son époque, qui s'éloigne de la société et même de la religion pour se cantonner dans une existence humble et modeste. Bien qu'il ne croie pas que l'on puisse changer le monde, que l'essentiel se fait à l'écart du tumulte de la vie moderne et que l'essentiel pour l'homme moderne est de sauver son âme, Wiechert n'a jamais renoncé à exercer par ses écrits une influence sur l'esprit de son temps, comme en témoigne le Discours à la jeunesse allemande de 1945. Mais l'œuvre reste marquée par une tonalité générale de pessimisme et de résignation. Missa sine nomine (1950), testament littéraire de l'écrivain, ne fait pas exception à la règle.
Ernst Wiechert, « l'émigré de la réalité », a su exprimer le désarroi d'une génération dépassée par son destin et qui a cru pouvoir trouver un refuge dans les valeurs traditionnelles.
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Écrit par
- M. NUGUE : agrégé de l'Université, maître assistant à l'École supérieure d'interprètes et de traducteurs, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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