ÉROTISME
Érotisme et cinéma
Plus que la peinture et la sculpture, plus même que le théâtre et la danse, l'image cinématographique est prise du corps, offert et saisi perpétuellement dans la variété des cadrages, des distances, des éclairages. La caméra ne se contente pas d'éveiller des phantasmes, encore que ses ressources symboliques et allusives égalent son pouvoir de représentation directe ; elle fait de nous des voyeurs et des contemplateurs, des confidents et des complices : tout regard qui s'offre ou voit s'offrir, qui conquiert ou appelle la conquête, est multiplié par les regards des spectateurs ; tout baiser, au cinéma, devient collectif. « Épuise tout le champ du possible érotique », tel pourrait être le commandement de la « Dixième Muse ».
Mais le cinéma est une industrie en même temps qu'un art. Il exploite doublement l'érotisme ; d'une part, il le rend obligatoire : un film sans femme, sans chair, sans « sexe », déclaré anticommercial par les producteurs, n'est réalisé que bien difficilement ; d'autre part, pour ne pas choquer, ou ne le faire qu'à coup sûr, sans provoquer les ciseaux des censeurs, il rend inoffensif, sinon anodin, l'érotisme qu'il a généralisé. Pas plus que les films d'épouvante ne font fuir les spectateurs, les films érotiques ne provoquent de bacchanales. Le cinéma domestique l'érotisme autant qu'il le systématise ; érotisme plus intensif qu'intense.
Quoi de plus significatif de ce double mouvement d'érotisation et d'aseptisation que les bandes publicitaires ? Pas une d'elles qui ne se lie et ne s'allie, de façon explicite ou floue, à un émoi sensuel, qui n'évoque, pour le bien et l'honneur de tel produit de consommation, un chatouillement épidermique, une satisfaction physique : visages comblés, yeux chavirés, voix extasiées. Slips et collants, savons et dentifrices, tous prétextes sont bons pour multiplier bains, baisers, nudités montrées et dérobées complaisamment, mais aussi plaisamment, car la minceur et la monotonie des « sujets » entraînent une certaine ingéniosité dans la facture. L'érotisme industriel se fait souvent industrieux, si bien que ces films de vertu apéritive se révèlent parfois, sur le plan érotique, plus nourrissants que les plats de résistance, les grands films qui leur succèdent.
Pourtant, malgré cette industrialisation roublarde et précautionneuse, comment mieux glorifier le corps et le désir que par les images en mouvement ?
Le regret du Paradis
L'érotisme, c'est d'abord la liberté de la chair épanouie, un élan naïf, natif, paradis où le plaisir existe, non le péché. Dionysos se fait apollinien, Apollon dionysiaque. Minceur et vigueur des corps, franchise des yeux, comme dans le Parfum exotique de Baudelaire. Aspiration typique d'époque civilisée ? Sans doute ; mais il appartient au cinéma, instrument d'évasion par excellence, de réaliser cette aspiration, aussi bien que d'entretenir de bas instincts en promettant des orgies plus détaillées à chaque nouvelle version de La Tour de Nesle ou de Raspoutine. Dans l'aigu Du côté de la Côte, Agnès Varda, après avoir montré des ventres rougis, des cuisses adipeuses, des maillots disgracieux, assure que le Paradis existe : c'est une île ; sur une plage courent deux chevaux, comme au premier matin ; deux corps sont allongés, nus comme ceux d'Adam et d'Ève.
Moana (1926), réalisé par Flaherty dans les îles du Pacifique, échappe à l'univers tragique. Repas, pêches, danses, tout y parle d'amour, mais l'érotisme d'un tel film est innocent autant que diffus : il se trouve dans les conditions de vie qu'il colore, il n'a pas à s'exacerber. « Je n'ai rien vu de plus voluptueux », note cependant Gide dans son Journal[...]
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Écrit par
- Frédérique DEVAUX : enseignante à l'université de Paris-VII et à l'École nationale supérieure Louis-Lumière, écrivaine
- René MILHAU : diplômé d'études supérieures de philosophie
- Jean-Jacques PAUVERT : écrivain
- Mario PRAZ : ancien professeur à l'université de Rome
- Jean SÉMOLUÉ : agrégé des lettres, ancien professeur de première supérieure au lycée Henri-IV, Paris
Classification
Médias
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