ERREUR
L'erreur dans les théories physiques
Très schématiquement, on attribue deux objets aux théories physiques : expliquer la réalité ou représenter les phénomènes, c'est-à-dire des effets observables. Pour Pierre Duhem, au début du xxe siècle, « une théorie physique n'est pas une explication. C'est un système de propositions mathématiques, déduites d'un petit nombre de principes, qui ont pour but de représenter aussi simplement, aussi complètement et aussi exactement que possible, un ensemble de lois expérimentales » (La Théorie physique, chap. ii).
Dans cette optique, « une théorie vraie, ce n'est pas une théorie qui donne, des apparences physiques, une explication conforme à la réalité ; c'est une théorie qui représente de façon satisfaisante un ensemble de lois expérimentales ». Ces dernières ne portent pas sur la nature ou sur les causes des phénomènes, mais sur leurs effets observables ou, mieux, reproductibles grâce à l'expérimentation. Cette manière de voir s'inscrit dans une tradition, qu'on appelle le positivisme. Ainsi, en 1811, Joseph Fourier, admiré par Auguste Comte, écrit, sans se préoccuper de la nature de la chaleur, que ses effets « sont assujettis à des lois mathématiques que l'on ne peut découvrir sans le secours de l'analyse mathématique ».
De la même façon, « une théorie fausse, reprend Duhem, ce n'est pas une tentative d'explication fondée sur des suppositions contraires à la réalité ; c'est un ensemble de propositions qui ne concordent pas avec les lois expérimentales » (La Théorie physique, chap. ii).
À la lumière de cette définition, la fausseté d'une théorie peut avoir plusieurs causes : le choix des grandeurs physiques à prendre en compte n'a pas été judicieux ; celui des hypothèses qui expriment la forme mathématique des relations entre variables n'a pas été pertinent ; on a commis des fautes dans « le développement mathématique de la théorie » ; enfin, la mise en œuvre des expériences destinées à tester les conjectures a été défaillante. Comme on le voit, on ne compare jamais terme à terme ou pièce à pièce théorie et expérience ; la correspondance est globale. En même temps, ce qui confère à des hypothèses leur caractère scientifique, c'est le fait d'être testables, c'est-à-dire confirmables et plus encore réfutables par l'expérience. Une hypothèse qui résiste à ces mises à l'épreuve ne sera pas pour autant vraie ; mais elle sera satisfaisante.
Einstein distingue les « théories constructives » et les « théories de principe ». Les premières, comme le suggère leur nom, tendent à construire une représentation du réel observable ; les secondes, plus ambitieuses dans leur visée, prennent pour hypothèses fondamentales des « axiomes » – « principes généraux formels » à partir desquels on retrouve, par déduction, des lois physiques et des éventualités testables par observation ou expérimentation. Ici, la théorie doit satisfaire deux types d'exigences : celle de l'épreuve de l'expérience, ou « validité externe », et celle de la « perfection interne ».
Alors que, dans la perspective positiviste, le critère de la réfutabilité par l'expérience est le signe essentiel de l'erreur, dans l'optique d'Einstein, une théorie peut s'accorder à l'ensemble des phénomènes connus dans un domaine, sans pour autant présenter les caractères de limpidité ou de rigueur qui sont les signes de « perfection interne ».
Il est clair que l'idée de perfection intrinsèque d'une théorie n'est pas simple à saisir et qu'elle est plus difficile encore à prendre comme critère de vérité ou d'erreur, bien que, sur ce point, les hommes de science puissent avoir, à une époque donnée, un [...]
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Écrit par
- Bertrand SAINT-SERNIN : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
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