GARNER ERROLL (1921-1977)
Pianiste afro-américain, Erroll Garner fut à la fois un innovateur qui ouvrit de nouveaux horizons aux pianistes de jazz et un musicien populaire admiré aux quatre coins du monde : pour beaucoup, il personnifiait presque le jazz. Il était l'homme de la solution aimable des contradictions : contradiction entre le travail acharné de l'instrument, qu'il poursuivit même jusque dans la maladie, et l'apparence de souveraine facilité qu'il prodiguait dès qu'il se trouvait sur scène ; entre la méconnaissance des canons traditionnels de la musique (entièrement autodidacte, il ne sut jamais lire les notes) et une science profonde de l'harmonie et du développement mélodique ; entre l'audace des accords, des superpositions rythmiques qu'il imaginait, et le tour coulé qu'il savait donner à ses improvisations.
Dès 1938, il travaille avec des orchestres locaux de sa ville natale, Pittsburgh. Mais sa carrière commence véritablement lorsqu'il se rend à New York en 1944 : il joue alors dans différents petits groupes, avec le bassiste Slam Stewart, le trompettiste Charlie Shavers, entre autres, et entreprend de se produire en soliste ou en trio, accompagné d'une basse et d'une batterie. La même année, il grave deux faces qui vont le rendre célèbre, déroutant d'abord les musiciens et les critiques, puis suscitant l'admiration des amateurs en révélant une approche tout à fait inédite du piano : Frankie and Garnie et Play Piano Play. On y sent l'influence de Fats Waller et de Duke Ellington, mais ce qui frappe surtout c'est l'étonnante densité rythmique créée par un décalage systématique entre les deux mains : la gauche marquant régulièrement le rythme sur les quatre temps, un peu à la manière dont le faisaient alors les guitares, et la droite brodant en liberté sur toute l'étendue du clavier, en accords ou en succession de notes isolées, mais toujours très légèrement en retard sur la senestre. Ce fractionnement du temps en intervalles inhabituels suscitait la surprise et mettait en mouvement une formidable dynamique ; mais, dans la mesure où la construction musicale reposait sur la régularité de la main gauche, l'incertitude née de la non-coordination exacte des deux mains se résolvait dans le contentement d'une scansion immuable, même si parfois elle était brisée dans son expression. Tous ses concerts, tous ses disques témoigneront de cette particularité.
À partir de 1950, il jouera pour l'essentiel en trio. Cette formule lui permet de laisser libre cours à une extraordinaire créativité, à un placide sens de l'humour qui enthousiasmait ses auditoires : longues introductions rhapsodisantes où s'accumulent les citations, puis brusques démarrages sur le thème enfin énoncé avec rythme ; improvisation de mélodies toujours renouvelées, mais toujours chantantes, sur des harmonies qui portaient la trace de Debussy ou de Ravel. C'est là un autre apport qu'on a souvent méconnu chez Erroll Garner ; n'ayant pas appris académiquement le piano, il composait les accords à sa guise, en se fiant à son oreille d'une infinie précision pour les maintenir dans le juste ton ; en fait, il harmonisait plus à la façon dont procède un arrangeur écrivant pour une section de trompette qu'à la manière des pianistes qui l'avaient précédé. De là venait la couleur toute personnelle qu'il savait donner à son instrument. En outre, utilisant à la main gauche des renversements d'accords inusités, n'exprimant pas nécessairement la tonique, il laissait une plus grande liberté de jeu à son bassiste.
Moins évident que sa faconde mélodique ou que ses entremêlements rythmiques, c'est cet aspect de son art que retinrent surtout les musiciens. Erroll Garner n'a pas eu de disciples au sens étroit du terme ; pourtant, la plupart des[...]
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Écrit par
- Denis Constant MARTIN : directeur de recherche, Fondation nationale des sciences politiques (C.E.R.I.)
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Autres références
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JAZZ
- Écrit par Philippe CARLES , Jean-Louis CHAUTEMPS , Encyclopædia Universalis , Michel-Claude JALARD et Eugène LLEDO
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...Rosetta) –, l'autre par sa musicalité – Teddy Wilson (Someday Sweetheart) –, le troisième par la saveur robuste de son swing – Erroll Garner (Caravan) –, le quatrième par son imagination et sa virtuosité sans exemple – Art Tatum (Get Happy). Une chanteuse, riche de verve et de... -
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