CALDWELL ERSKINE (1903-1987)

Romancier américain né en 1903, auteur de La Route au tabac et du Petit Arpent du Bon Dieu, Erskine Caldwell a fait entrer dans la littérature un nouveau personnage : le « pauvre blanc » des États du Sud. Il le découvrit dès l'enfance, non seulement pour être né à White Oak, en Géorgie, mais parce qu'à la suite de son père, pasteur presbytérien et inspecteur des églises, il ne cessa de parcourir le Sud tout entier. Il lui arriva ainsi de tomber, avec sa famille, prisonnier des moonshiners, les distillateurs clandestins de whisky. Il continua d'observer les « pauvres blancs » en faisant tous les métiers, comme il l'a raconté dans Mais l'art est difficile : scieur de long, footballeur professionnel, cuisinier, contrebandier d'armes, marchand de biens, ouvrier agricole. Entre-temps, il fréquentait l'université de Virginie, à Charlottesville. Cette grande expérience de la misère éveilla sa conscience sociale et le poussa à écrire contre l'injustice. Mais sa voie n'était pas le naturalisme ni la littérature engagée. Il n'était pas un autre Steinbeck et La Route au tabac ne ressemble qu'en apparence aux Raisins de la colère. Le plus souvent, il peint simplement, sans prendre parti et sans s'apitoyer, des personnages primitifs, aussi dépourvus de préoccupations morales que de ressources matérielles. Leur innocence s'accommode de la violence, de la fornication et de la mort. Les décrivant à gros traits, Caldwell écrit des farces tragiques et volontiers macabres.

Cet amoralisme à peu près total, cet humour féroce qui peut tout au plus passer pour une dénonciation de l'absurde ont scandalisé ses premiers lecteurs et ont fait en même temps le succès de La Route au tabac (1932), du Petit Arpent du Bon Dieu (1933) et de Terre tragique (1945).

Le Sud tel que le peint Caldwell regorge d'horreurs, de misères, d'idiots et de monstres. Il est pourtant à l'opposé de celui de Faulkner. On n'y trouve ni bruit ni fureur, pas de sens de la tragédie, aucune confrontation de l'homme et de son destin. Simplement une évidence, un récit direct, sans nuances ni détours psychologiques, qui font de Caldwell un conteur remarquable.

Il se révèle tel dès son premier livre, Le Bâtard (1929). Le héros, Gene Morgan, fils de prostituée, travaille dans une scierie. On y voit, entre autres, un Nègre coupé en deux par une scie et ses camarades s'amusant à lui donner à boire pour regarder jaillir le liquide par l'œsophage sectionné. Gene se met en ménage avec une fille qui est peut-être sa demi-sœur. Ils ont un bébé, petit monstre au visage couvert de poils que Gene finira par aller noyer dans une rivière.

Son deuxième roman, Un pauvre type (1930), se déroule en grande partie chez une faiseuse d'anges, Mrs. Boxx. Elle est maladroite, ses clientes meurent fréquemment et on les cache dans la cave avant de les rouler dans des toiles d'emballage. Le mari de Mrs. Boxx est un petit bonhomme fou et châtré. Armée de ciseaux, Mrs. Boxx essaie de faire subir la même opération à son gendre, le minable boxeur Blondy Niles.

La Route au tabac peint, en une série d'épisodes burlesques, une famille de paysans vivant dans une masure, sur le bord d'une route où autrefois on charriait le tabac. Ils sont si démunis qu'ils mangent de l'herbe et, lorsqu'ils réussissent un jour à voler un sac de navets, ils les dévorent crus. Autour du fermier Jeeter Lester, dont le seul sentiment idéaliste est l'attachement à cette terre qui ne le nourrit plus, s'agitent dans un ballet burlesque Adda, sa femme malade, la grand-mère, le fils Dud et les filles : Ella May, nymphomane défigurée par un bec-de-lièvre, et Pearl, mariée à douze ans. Une femme pasteur, au moins quadragénaire, Bessie Rice, se fait épouser, en lui promettant une voiture, par le jeune Bud qui n'a que seize ans. Dès qu'il prend le volant de sa[...]