PANOFSKY ERWIN (1892-1968)
Loin de considérer l'histoire de l'art comme le simple récit événementiel de la succession des œuvres et des artistes à travers la juxtaposition des catalogues et des biographies, Erwin Panofsky a voulu – le dernier peut-être – en faire une « discipline humaniste », non pas exactement une « science humaine », mais une histoire de l'esprit humain tel qu'il se manifeste à travers ses œuvres artistiques.
Repenser l’histoire de l’art
Né à Hanovre le 30 mars 1892, il est, en 1926, professeur d'histoire de l'art à Hambourg et participe aux recherches du groupe inspiré par Aby Warburg ; d'origine juive, il est radié par les nazis en 1933 et émigre aux États-Unis, où il avait noué des contacts depuis 1931 ; en 1935, il enseigne à l'Institute for Advanced Study de l'université de Princeton, où il travaille et accumule les découvertes jusqu'à sa mort. Comme il s'en est lui-même expliqué, l'atmosphère intellectuelle des États-Unis a joué un rôle dans l'approfondissement de ses théories. Pratiquée par des spécialistes venus d'autres disciplines, l'étude de l' œuvre d'art y était dégagée du cloisonnement traditionnel dont elle souffre en Europe ; le « réalisme » anglo-saxon encourageait, par ailleurs, des débats fondamentaux sur la finalité de la discipline, par rapport auxquels l'« Européen transplanté » devait définir sa propre pensée.
Les sources profondes et la dynamique originelle de la réflexion de Panofsky demeurent cependant allemandes. Il tente, dès les années 1920 dans ses premiers articles, une synthèse entre trois grandes directions dans lesquelles s'orientait alors la réflexion germanique sur l'œuvre d'art.
L'article sur « le Concept de volonté d'art » (Kunstwollen), publié en 1920, indique la première de ces sources : Aloïs Riegl (1858-1905). Pour ce représentant de l'école de Vienne, l'histoire de l'art est avant tout histoire des formes, l'ensemble de l'évolution stylistique étant sous-tendue par une polarité fondamentale entre une Kunstwollen visant à l'isolation des formes et une autre volonté visant à leur unification (vision tactile et optique, objectivité et subjectivité), chaque époque oscillant entre ces deux pôles et l'ensemble de l'histoire s'orientant vers une affirmation grandissante de la subjectivité. L'origine hégélienne de cette conception est peu contestable.
Panofsky prend ses distances par rapport à l'idéalisme implicite, à l'abstraction et au « psychologisme » latent dans l'analyse exclusivement formelle de l'œuvre d'art. Attentif à ancrer fortement l'œuvre dans son contexte socioculturel, il se rattache à Aby Warburg, « champion d'une méthode qui se refusait à la dichotomie traditionnelle entre forme et contenu » (Panofsky, 1966). Valorisant la fonction sociale de l'œuvre et liant l'image au système de représentation qui lui est contemporain, Warburg ne fait pourtant pas de l'art la simple conséquence d'une situation historique : l'art est un facteur du complexe culturel, à la définition et à la perception duquel il contribue de manière essentielle. Fruits panofskiens de cette approche, le magistral Saturne et la Mélancolie (écrit en collaboration avec R. Klibansky et F. Saxl, publié en 1964, mais dont les premières esquisses datent de 1920) et les Essais d'iconologie (publiés en 1939, mais rédigés en partie depuis 1932).
Le refus de séparer forme et contenu se fonde enfin sur la réflexion philosophique d'Ernst Cassirer à propos des formes symboliques, symboles d'une culture et formes à travers lesquelles « un contenu spirituel particulier se trouve lié à un signe concret et intimement identifié avec celui-ci ». Dès 1924-1925, l'essai sur [...]
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Écrit par
- Daniel ARASSE : agrégé de l'Université
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