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ÉRYTHRÉE

Nom officiel État d'Érythrée
Chef de l'État et du gouvernement Issayas Afeworki - depuis le 24 mai 1993
Capitale Asmara
Langue officielle Aucune (Les langues de travail du gouvernement sont l'anglais, l'arabe et le tigrinya.)
Population 3 470 390 habitants (2023)
    Superficie 121 630 km²

      Article modifié le

      Histoire

      La constitution de l'Érythrée

      L'entrée de l'Italie dans le club des puissances coloniales à la fin du xixe siècle, s'explique en partie par la lutte d'influence que mènent à cette époque les deux grandes puissances impérialistes européennes, la France et la Grande-Bretagne. L'Érythrée devient une colonie italienne en 1890, mais les desseins de Rome évoluent pendant l'occupation : colonie de peuplement pour réduire l'acuité de la crise agraire du sud de l'Italie, puis source de matières premières, ensuite réservoir d'askaris (soldats coloniaux) pour constituer la force militaire nécessaire aux conquêtes en Libye et en Somalie, enfin base arrière, à partir de 1927, pour préparer l'invasion de l'Éthiopie en 1935.

      La population de l'Érythrée est évaluée, au moment de l'indépendance, à 2,5 millions d'habitants, auxquels s'ajoute une diaspora de près de 1 million de personnes dont environ 500 000 réfugiées au Soudan voisin. Elle peut paraître divisée en deux grands blocs. Sur les plateaux habite une immense majorité de chrétiens qui se consacrent à l'agriculture traditionnelle ; dans les plaines vit une population musulmane largement pastorale, si l'on excepte les quelques grandes agglomérations comme Massawa sur la côte et Keren ou Aqordat dans l'ouest du pays. Il existe en outre de multiples interactions entre ces deux ensembles depuis des siècles. Il faut souligner aussi la multiplicité des influences, de la culture arabe sur la côte, qui a été en contact dès le xve siècle avec l'Empire ottoman, de l'Église orthodoxe éthiopienne sur le plateau et marginalement du catholicisme ou du protestantisme, des confréries soudanaises à l'ouest.

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      Ces différences jouent un rôle cardinal dans l'histoire du nationalisme érythréen et dans la guerre civile en aiguisant souvent les divisions ethniques ou régionales. Pourtant, une lecture qui en resterait à ce niveau n'expliquerait pas pourquoi la guerre a été possible durant une si longue période sans produire un éclatement de cette société depuis l'effondrement de la domination éthiopienne.

      Les trois moments du nationalisme érythréen

      La constitution d'un nationalisme est toujours un processus complexe qui ne passe pas uniquement par le champ politique. Dans le cas érythréen, l'analyse doit redoubler de prudence, car ses bases sociales ont évolué historiquement et ont toujours fait l'objet de controverses, pour qui refuse l'histoire nationaliste promue par les mouvements de libération. La défaite italienne se produit rapidement, puisque l'Érythrée est occupée dès 1941 par l'armée britannique. La fin de la suprématie fasciste affecte la société érythréenne dont une bonne partie s'était identifiée aux rêves de Mussolini. Les Britanniques, qui désirent utiliser l'Érythrée comme base arrière de la reconquête du Proche-Orient, pactisent avec les Italiens honnis par la population. L'élite érythréenne, peu nombreuse, s'organise alors pour exiger la dissolution des lois fascistes et l'égalité entre anciens colons et autochtones. Cette première expression politique se divise rapidement sur la question de l'Éthiopie. Une fraction importante de ce mouvement soutient le retour de l'Érythrée dans l'Éthiopie qui se libère ; d'autres, essentiellement des musulmans, perçoivent toujours l'Éthiopie comme une terre chrétienne, hostile à l'islam.

      Dès 1945, la vie politique s'organise, car les grandes puissances hésitent sur le statut des anciennes colonies italiennes et autorisent une expression politique locale. Ces discussions internationales, malgré l'envoi d'une commission d'enquête sur place, n'arrivent pas à trancher et la question de l'Érythrée est confiée aux Nations unies. Celles-ci décident en 1950, en conformité avec les nouveaux intérêts géostratégiques américains, de lui octroyer une autonomie sous la couronne éthiopienne. Plus intéressante que cette gestion internationale, où la compétition Est-Ouest est omniprésente, est l'observation de la vie politique érythréenne.

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      Deux grands blocs de force comparable se constituent peu à peu. Le premier soutient, derrière le Parti unioniste dirigé par Tedla Bairu, le retour de l'Érythrée sous l'autorité de l'empereur Haïlé Sélassié. L'immense majorité des chrétiens du plateau y souscrit sous l'influence de l'appareil clérical mobilisés par Addis-Abeba. Mais on retrouve également de petites formations musulmanes qui se sont rangées du côté éthiopien par hostilité au grand mouvement musulman, la Ligue islamique conduite par Ibrahim Sultan. Celle-ci entend fédérer toutes les communautés musulmanes d'Érythrée derrière le mot d'ordre d'indépendance. Mais son succès s'explique mieux par trois raisons. En premier lieu, elle prend une part active dans un conflit social qui divise les principales communautés musulmanes entre « nobles » et « serfs » (shumagelle-tigré). Ensuite, elle s'appuie sur la principale confrérie religieuse du pays, la Khatmiyya de la famille Mirghani. Enfin, elle monte en épingle l'hostilité à l'Éthiopie chrétienne. Elle échoue dans son projet d'unification, car de petites organisations apparaissent rapidement et traduisent les contradictions sociales ou économiques au sein des musulmans. De plus, sous la pression des Britanniques qui désiraient l'octroi de la Province occidentale érythréenne au Soudan, une Ligue musulmane de la Province occidentale est créée et affaiblit le mouvement nationaliste, puisqu'elle s'allie avec le Parti unioniste. Ibrahim Sultan bénéficie aussi de l'appui de personnalités (Woldeab Woldemariam) et de quelques groupes chrétiens (Parti libéral progressiste). Le nationalisme érythréen, qui prend forme alors, est empreint de fortes connotations religieuses et reste lié à des identités locales qui l'affaiblissent d'autant.

      La fédération qui dure formellement jusqu'en 1962, lorsque le Parlement érythréen vote l'intégration complète à l'Éthiopie (avec l'armée éthiopienne autour de son bâtiment), constitue la deuxième période du nationalisme érythréen. En effet, le gouvernement autonome n'a qu'une existence très brève car, dès la crise parlementaire de 1956, le contrôle d'Addis-Abeba est total. Pourtant, le nationalisme se développe, y compris dans les couches sociales qui l'avaient combattu jusqu'alors à cause des différences entre l'Éthiopie et l'Érythrée : la première est gouvernée par l'empereur, l'appareil d'État et la société civile y sont résiduels ; la seconde est autrement plus développée, les partis politiques y ont droit de cité comme les syndicats, la presse, etc. L'autoritarisme éthiopien entraîne un raidissement chez certains unionistes qui sont partisans du maintien d'une spécificité érythréenne. L'opposition est rapidement mise au pas par la force. Cette deuxième période culmine avec la grande grève générale de 1958.

      Le troisième moment du nationalisme érythréen débute cette même année avec l'apparition du Mouvement de libération de l'Érythrée, qui recrute essentiellement dans la fonction publique, tant chez les musulmans que chez les chrétiens. Les difficultés de la clandestinité, les hésitations sur les formes de lutte à mener conduisent à un affaiblissement de ce groupe dès la création en 1961 du Front de libération de l'Érythrée (F.L.E.). La lutte de libération nationale ne fait pas l'unanimité de la population érythréenne. Tout d'abord, sans doute à cause d'une direction en exil composée d'anciens opposants musulmans ulcérés par leur marginalisation, la coloration religieuse et ethnique reprend un ascendant sur la vie politique du mouvement. Ensuite, la lutte pour le pouvoir conduit à des éliminations massives, puis à la guerre civile. Enfin, la désorganisation et la dépolitisation de la guérilla suscitent un regain de solidarités locales ou religieuses, et donc de conflits, qui enlèvent à cette lutte les caractéristiques d'une libération nationale. La manière très sélective dont l'armée éthiopienne, assistée par des Israéliens, mène la répression n'explique que pour une part cette situation.

      La victoire du nationalisme érythréen

      Ces divisions ne pouvaient durer, car elles signifiaient à terme la disparition de la guérilla. À partir de 1966, différents secteurs du F.L.E. s'interrogent sur cette crise, d'autant que les liens avec d'autres mouvements de libération ou avec des États poussent à un aggiornamento. Celui-ci prend deux formes : une scission qui est à l'origine du Front populaire de libération de l'Érythrée (F.P.L.E.) en 1970 avec une volonté de réforme radicale du fonctionnement et une plus grande présence des chrétiens en son sein ; une nouvelle direction du F.L.E. qui essaie de transformer son idéologie et de corriger les pratiques aberrantes. Cependant, la mutation est difficile et la guerre entre F.L.E. et F.P.L.E. continue, avec des arguments certes plus idéologiques, mais avec un coût humain important.

      L'impact de la révolution éthiopienne de 1974 est immense en Érythrée. Les deux organisations sont obligées, sous la pression populaire, de se réconcilier et intègrent des milliers de recrues. Le nationalisme connaît alors un grand succès et la guerre se poursuit après d'éphémères négociations. L'implication soviétique en 1977 permet à l'Éthiopie de reprendre rapidement le dessus. À partir de 1982, la situation de la guérilla semble très délicate. Le F.L.E., qui a reculé sous la pression éthiopienne, est chassé au Soudan par le F.P.L.E. et éclate en multiples factions. Depuis lors, celles-ci n'ont plus la capacité militaire d'intervenir en Érythrée, d'autant que le F.P.L.E. le refuse. Cette opposition divisée devient alors une clientèle que se partagent les différents États de la région (Irak, Libye, Yémen, Arabie Saoudite) au nom de l'arabité de l'Érythrée pour peser un jour contre le F.P.L.E., perçu comme chrétien et marxiste.

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      Ce dernier se renforce pendant ces années, malgré l'échec de ses actions militaires. Tout bascule en 1988 lorsque le F.P.L.E. prend au printemps le contrôle du camp d'Afabet qui est la clé du dispositif militaire éthiopien en Érythrée. Il renforce massivement son armement et sa logistique ; les quatre généraux soviétiques faits prisonniers accroissent sa crédibilité aux yeux de Mikhaïl Gorbatchev : quelques mois plus tard, l'U.R.S.S. fait savoir qu'elle n'entend pas renouveler dans les mêmes proportions l'accord militaire avec Addis-Abeba. La fin de la compétition Est-Ouest fournit donc l'arrière-plan de l'avancée du F.P.L.E. en Érythrée, mais aussi des guérillas éthiopiennes vers Addis-Abeba. Il faudra près de trois ans aux diverses guérillas pour arriver dans les deux capitales.

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      Écrit par

      • : professeur des Universités, Institut français de géopolitique de l'université de Paris-VIII, membre du Centre d'études africaines, C.N.R.S., École des hautes études en sciences sociales, chargé de cours à l'Institut national des langues et civilisations orientales
      • : chargé de recherche CNRS

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      Médias

      Érythrée : carte administrative - crédits : Encyclopædia Universalis France

      Érythrée : carte administrative

      Érythrée : drapeau - crédits : Encyclopædia Universalis France

      Érythrée : drapeau

      Conflit frontalier entre l'Erythrée et l'Ethiopie - crédits : Amr Nabil/ AFP

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