ÉRYTHRÉE
Nom officiel | État d'Érythrée |
Chef de l'État et du gouvernement | Issayas Afeworki - depuis le 24 mai 1993 |
Capitale | Asmara |
Langue officielle | Aucune (Les langues de travail du gouvernement sont l'anglais, l'arabe et le tigrinya.) |
Population |
3 470 390 habitants
(2023) |
Superficie |
121 630 km²
|
Article modifié le
L'Érythrée indépendante
Les dirigeants du F.P.L.E. n'ont pas déclaré l'indépendance immédiatement après leur victoire militaire. Ils ont accepté de passer sous les fourches caudines de la loi internationale, puisque c'est la Charte intérimaire éthiopienne adoptée en juillet 1991 qui leur octroie le droit à l'autodétermination et qu'ils ont tenu à ce que le référendum d'avril 1993 soit observé par l'O.N.U. et l'O.U.A. Si le résultat est sans surprise, il faut regretter qu'avant la consultation aucune opposition n'ait pu s'exprimer et que des centaines d'opposants potentiels aient été mis à pied, voire emprisonnés. Malgré le remplacement du F.P.L.E. en février 1994 par le Front populaire pour la démocratie et la justice (F.P.D.J.) et l'apparente volonté de disjoindre le F.P.D.J. de l'appareil d'État, de nombreuses interrogations pèsent rapidement sur l'instauration d'une démocratie pluraliste sans cesse promise et reportée. L'adoption, en mai 1997, d'une Constitution prévoyant le multipartisme « sous conditions » ne lève aucune hypothèque puisqu'elle n'est pas mise en œuvre et n'est plus d'actualité quelques mois plus tard, lorsque la guerre contre l'Éthiopie débute. La non-satisfaction de cette revendication prend toute sa signification en considérant les enjeux internes et régionaux qu'induit l'indépendance de l'Érythrée.
Trois sociétés érythréennes
Au niveau interne, cette société peut être conçue comme la superposition de trois strates, qui ont les plus grandes difficultés à communiquer et à se fondre l'une dans l'autre. Il y a la société du F.P.L.E., qui a vécu avec lui, a la même culture politique faite de respect de l'autorité, de patriotisme, d'adulation de son chef et président du pays, Issayas Afeworki, mais aussi de refus de la prévarication, de sacrifice de l'individu au profit de la collectivité, etc. Ensuite, vient la société qui a vécu sous le contrôle éthiopien depuis les années 1960. Ce groupe ne conçoit l'État que comme répression, taxation (15 p. 100 de la population est urbaine), intimidation : il s'agit donc d'échapper à son emprise en contournant la loi, stratégie classique d'une paysannerie aux abois. Vient enfin la jeunesse (41 p. 100 de la population a moins de 16 ans), dont les modèles culturels appartiennent à un autre monde : celui où l'argent est roi, la musique rock, Michael Jackson, le culte de l'individualité omniprésents. Le F.P.L.E.-F.P.D.J., pour réaliser cette unité, se trouve devant une alternative. La démocratie peut fournir une solution, mais la militarisation de la société en est une autre. C'est cette dernière que choisit la direction du pays, incapable de pacifier sa conception du gouvernement.
Les islamistes érythréens n'ont pas abandonné leur projet de prise de pouvoir et bénéficient de deux avantages : l'aide de leurs homologues soudanais au pouvoir à Khartoum et une importante communauté érythréenne au Soudan qui est soumise à leur prosélytisme. Cette hostilité à l'égard d'un gouvernement laïciste est d'autant plus vive que le jeune État érythréen entretient les meilleures relations avec Israël, qui entend éviter que la mer Rouge ne devienne un lac arabe. De nombreuses réformes posent plus ou moins directement la question des rapports entre chrétiens et musulmans et peuvent engendrer un mécontentement que pourraient utiliser les islamistes : le statut de la langue arabe par rapport à la langue maternelle qui est préférée par le F.P.L.E., la réforme foncière qui aboutira à une migration de population (chrétienne) du plateau vers les basses terres (musulmanes), enfin la démobilisation de l'armée du F.P.L.E. qui est prioritaire pour les emplois par rapport aux réfugiés, majoritairement musulmans, qui envisagent de revenir chez eux.
L'économie joue donc un rôle essentiel dans la reconstruction du champ politique. Malgré sa forte légitimité, le gouvernement érythréen commet de nombreuses erreurs qui vont peu à peu lui aliéner une partie de ses soutiens intérieurs et régionaux. Incapable de concevoir que la fin de la guerre a transformé les attentes de la population, le nouvel État entend garder un contrôle tatillon sur l'économie et sur la diaspora. Si l'autosuffisance avait un sens pendant la guerre de libération, l'accession au pouvoir d'État exige une plus grande flexibilité par rapport au monde extérieur, d'abord à l'Éthiopie et au Soudan, ses voisins, mais aussi aux grandes institutions internationales. Le réalisme et la modération initiale font place, lorsque les premières difficultés apparaissent, à un repli dirigiste et chauviniste. L'Érythrée indépendante, qui continue à utiliser la même devise que l'Éthiopie depuis 1991, mène une politique économique totalement opposée à celle de son voisin et ne respecte même pas les mêmes taux de change afin d'accroître son accès aux devises fortes.
En 1997, ce volontarisme montre ses limites. La création d'une monnaie nationale érythréenne, le nakfa, satisfait les plus cocardiers mais se révèle désastreuse, car l'Éthiopie met en place des règles qui éliminent les avantages économiques dont l'Érythrée jouissait jusqu'alors en termes de commerce transfrontalier et de transferts de fonds d'un pays vers l'autre. La détérioration des relations se traduit également par une sous-utilisation du port d'Assab, lorsque Addis-Abeba décide de ne plus utiliser le terminal pétrolier, jugé trop cher.
La tension avec l'Éthiopie est longtemps tenue hors du domaine public. Tel n'est pas le cas avec le Soudan. Dès avant le référendum d'autodétermination, Asmara manifeste son mécontentement face au soutien octroyé par Khartoum aux organisations islamistes érythréennes. En 1994, les relations diplomatiques sont rompues et Asmara devient le quartier général de l'opposition soudanaise, l'Alliance nationale démocratique, qui peut y entraîner ses troupes et recevoir l'appui dont elle a un besoin vital. Cette implication dans la politique américaine de containment du régime islamiste à Khartoum est récompensée par une aide économique et une grande flexibilité sur la question des droits de l'homme.
La guerre avec l'Éthiopie et ses implications régionales
En mai 1998 débute une guerre sanglante entre l'Érythrée et l'Éthiopie. Les combats, intermittents, prennent fin deux ans plus tard et un accord est conclu à Alger en décembre 2000. Cette guerre, qui est bien plus qu'un conflit de frontière, a des conséquences majeures sur la vie intérieure de l'Érythrée et sur l'ordre régional.
En effet, l'Érythrée sort vaincue de ce conflit où elle a perdu sans doute plus de 100 000 hommes et son économie est en banqueroute. Lorsque des dirigeants, en 2001, font part de leurs critiques sur la manière dont le président Issayas Afeworki et ses conseillers ont mené la guerre, ils sont mis à pied et arrêtés pour haute trahison (jamais aucun procès n'est organisé). Le F.P.L.E.-F.P.D.J. se fracture et la seule réponse du pouvoir est la répression, les arrestations arbitraires et l'extension du contrôle policier sur toute la population. L'Érythrée est depuis lors un État policier total, comme l'est la Tunisie de Ben Ali ou comme l'était le Togo des années 1980.
Victorieuse au niveau militaire, l'Éthiopie se retrouve bientôt dans une situation paradoxale. Comme en Érythrée, une crise politique profonde secoue ses élites dirigeantes en 2001. Surtout, la Commission internationale qui statue sur le problème de frontière le fait en donnant droit à Asmara sur la zone contestée, en avril 2003, notamment en considérant le village de Badmé, symbole du conflit, comme érythréen. Depuis lors, le refus d'Addis-Abeba d'entreprendre le démarquage de la frontière oblige non seulement à prolonger le mandat de la force onusienne présente depuis 2001 sur la zone frontalière entre les deux pays, mais nourrit aussi une guerre des mots entre les deux capitales et des tentatives de déstabilisation. L'Érythrée, en effet, s'efforce de faire flèche de tout bois et soutient les dissidences armées éthiopiennes, notamment celles du Front de libération oromo et du Front de libération national de l'Ogaden (l'Éthiopie soutient de son côté l'opposition érythréenne mais avec moins de succès). Depuis l'été 2000, l'Érythrée appuie également les groupes somaliens qui sont les plus hostiles à Addis-Abeba : le gouvernement national transitoire (2000-2002) et, à partir du printemps de 2006, les Tribunaux islamiques de Mogadiscio.
Une des conséquences du conflit érythréo-éthiopien est le rapprochement du Soudan et de l'Éthiopie dès l'automne de 1998. Asmara réagit à celui-ci en soutenant, peut-être en créant, une guérilla dans l'est soudanais, qui connaît des succès modestes mais inquiète Khartoum car elle frappe à quelques centaines de kilomètres de la capitale.
Les négociations de paix inter-soudanaises débutées en juin 2002 et conclues en janvier 2005 constituent un autre tournant important pour l'ordre régional. L'Érythrée qui, à partir de 1994, est le sanctuaire de l'opposition soudanaise perd de son importance. Sa réponse est de fournir conseils, formations militaires et armements aux insurgés du Darfour dès le début du conflit, en février 2003, par l'entremise du Tchad. En agissant ainsi, les dirigeants érythréens espèrent prouver qu'il ne peut y avoir de paix dans la région sans qu'ils soient reconnus comme des protagonistes essentiels. Le Soudan, désireux de consolider sa position régionale alors que les pressions internationales sur le Darfour se multiplient, leur offre, en 2006, la médiation dans le conflit à l'est et un généreux contrat d'approvisionnement en produits pétroliers. De plus, le président soudanais Omar el-Béchir vient en visite à Asmara en mars 2009 et le président érythréen Issayas Afeworki se rend à son tour à Khartoum en octobre 2011. D’abord réticente quant à la séparation des deux Soudans, l’Erythrée reconnaît rapidement l’indépendance du Soudan du Sud en juillet 2011.
Toutefois, l’Érythrée s’engage dans un nouveau conflit lorsque, en avril 2008, les troupes d’Asmara franchissent la frontière avec Djibouti et prennent position dans la région de Ras Doumeira. Les relations diplomatiques entre les deux pays sont suspendues. Ce conflit frontalier ne prend fin qu’en 2010, après l’imposition de plusieurs sanctions internationales. Cédant à ces pressions, et grâce à la médiation qatarie, le gouvernement érythréen signe, en juin 2010, un accord de paix avec Djibouti.
C’est à se demander si les dirigeants érythréens veulent ou peuvent la paix. En effet, un contexte régional pacifié soulignerait combien leur pays est pauvre, endetté et sans véritable influence sur des voisins qui sont des géants démographiques ou des puissances économiques régionales.
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Écrit par
- Alain GASCON : professeur des Universités, Institut français de géopolitique de l'université de Paris-VIII, membre du Centre d'études africaines, C.N.R.S., École des hautes études en sciences sociales, chargé de cours à l'Institut national des langues et civilisations orientales
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