ESCHATOLOGIE
Dialectique de l'eschatologie chrétienne
Le christianisme primitif – dont maintenant près de vingt siècles nous séparent – était foncièrement d'essence eschatologique. Encouragées par les multiples allusions à l'imminence du Royaume qui se trouvent dispersées à travers les Évangiles, les premières communautés chrétiennes ont vécu tendues dans l'attente du prochain retour en gloire et du Jugement dernier. Et c'est l'extrême ferveur de cette attente qui, pour une large part, permet de comprendre leur intrépidité face aux persécutions de toutes sortes auxquelles elles étaient en butte. Une telle espérance était, au premier chef, partagée par ceux que l'on appelle aujourd'hui les judéo-chrétiens, grands lecteurs de ces apocalypses dont le texte attribué à l'évangéliste saint Jean n'est que le plus célèbre. C'est dans cet écrit, en effet, que, sur la base de quelques versets mystérieux (xx, 1-6), s'est enracinée la croyance en une première résurrection, réservée aux justes et aux martyrs, en compagnie desquels le Christ, revenu sur terre, y régnerait pendant mille ans avant que ne surviennent la résurrection générale et le Jugement dernier. Mais, en dehors même des croyances proprement millénaristes, l'« attente proche » était le fait de tous. Saint Paul y fait clairement allusion dans la Ire épître aux Corinthiens, lorsqu'il évoque (v, 52) ceux qui, au moment même où les morts ressusciteront au son de la trompette du Jugement, « seront transformés », c'est-à-dire passeront directement de l'état de vivants terrestres à celui d'élus de Dieu. Et l'Apôtre, en disant « nous », se range lui-même dans cette dernière catégorie.
Pendant les trois ou quatre premiers siècles, les représentations sont demeurées extrêmement flottantes. Deux tendances dominent cependant : la très faible individualisation du Jugement et le caractère globalement « terrestre », « charnel » et « optimiste » de cette eschatologie. Les premiers Pères de l'Église, surtout en Orient, tendent à réduire le Jugement à une sorte d'ordalie collective, bien proche de celle qui est connue dans le mazdéisme. Après un passage purificateur à travers le feu, plus ou moins cruel selon la gravité des péchés accumulés, tous, ou presque tous, seront admis au nombre des élus. Et, quant au lieu de séjour de ces élus, il est le plus souvent représenté sur le modèle du paradis terrestre, quand il ne lui est pas purement et simplement assimilé. À cet égard, Origène – trop souvent présenté comme une figure isolée – ne fait guère que spiritualiser et systématiser ces tendances : ainsi lorsqu'il assimile le feu de l'épreuve purificatrice au « feu du remords » ou lorsqu'il envisage, certes à très long terme, la possibilité d'un salut universel ou « apocatastase », ou encore lorsqu'il fait du paradis terrestre une « école des âmes » où celles-ci se rendraient après la mort pour se perfectionner.
Cependant, le retour tant attendu ne se produisant décidément pas, une tout autre eschatologie, à laquelle est attaché le nom de saint Augustin, allait se mettre en place pour plus d'un millénaire. On connaît les grands axes de ce système de l'« attente lointaine » qui, à partir du ve siècle, s'imposa peu à peu au détriment de l'« attente proche » : refus du millénarisme et identification du millenium au développement terrestre de l'Église compris comme la réalisation progressive de la « Cité de Dieu » ; réfutation des « miséricordieux » et défense du principe de l'éternité des peines pour les réprouvés ; insistance sur le péché originel et le petit nombre des élus ; suspicion jetée sur toute espèce de spéculation relative au jour et à l'heure du Jugement ; ébauche[...]
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Écrit par
- Michel HULIN : professeur de philosophie indienne et comparée à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Média
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