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ESCHATOLOGIE

La situation contemporaine

La pensée eschatologique a-t-elle encore un sens aujourd'hui, a-t-elle un avenir ? Ce qui frappe en tout cas, en cette fin du xxe siècle, c'est l'éclipse presque totale de tous les discours hérités du passé. La théologie chrétienne, en particulier, est devenue quasi muette, sinon agnostique, en tout ce qui concerne l'au-delà. Elle se cramponne certes à l'idée de la résurrection, mais en la traitant comme un pur article de foi, la foi en la parole du Christ ressuscité, sans la relier à une forme quelconque de savoir positif, sans chercher à l'intégrer dans une quelconque « image du monde ». Et, de son côté, l'art du xxe siècle a pratiquement renoncé, sauf exceptions, à représenter la fin du monde et les paysages de l'au-delà. Cette situation n'est pas vraiment récente, mais elle est aggravée de nos jours par l'effondrement, dans le sang et les larmes, de l'optimisme révolutionnaire qui, pendant des décennies, s'était, un peu partout dans le monde, substitué aux aspirations sotériologiques. Nous commençons à comprendre que les promesses de la terre ne combleront jamais le vide du ciel.

Sans doute les sectes ne manquent pas qui, de nos jours encore, spéculent sur les données chiffrées de l'Apocalypse, guettant avec passion les signes annonciateurs de la fin des temps. Témoins de Jéhovah, adventistes, mormons et autres rivalisent d'enthousiasme et de prosélytisme. Au sein même du catholicisme et des différentes Églises réformées, des tendances traditionalistes ou «  fondamentalistes » s'affirment avec vigueur. En fait, aucune des grandes religions du monde – islam, hindouisme, bouddhisme, taoïsme même – n'est épargnée par la tentation, parfois irrésistible, de se replier sur ses sources et son credo traditionnel. Dans le domaine eschatologique, toutefois, de telles aspirations sont anachroniques et vouées à l'échec. Ces croyances ne pourraient redevenir vivantes qu'au prix d'un véritable oubli de tout le savoir positif que l'homme a pu acquérir, au cours des siècles passés, sur lui-même, sur la vie et sur l'univers physique. On constate d'ailleurs que les sectes ou les mouvements en question recrutent leurs adeptes, sauf cas particuliers, dans des milieux peu cultivés, arriérés, économiquement menacés par le progrès technique. Le fondamentalisme religieux apparaît ainsi comme une réaction de défense de la part de ceux qui se sentent, à tous égards, incapables de faire face aux exigences du monde moderne.

Et pourtant le besoin d'une nouvelle conscience eschatologique n'a peut-être jamais été aussi profondément ressenti qu'aujourd'hui. Des auteurs aussi différents que Nicolas Berdiaev (Essai de métaphysique eschatologique), Pierre Teilhard de Chardin (Le Phénomène humain), Ernst Bloch (Le Principe espérance), et même Martin Heidegger dans toute son œuvre se rejoignent pour affirmer que seule la perspective d'une rencontre avec le Tout-Autre, à l'horizon de l'avenir, peut encore sauver l'humanité du chaos et de l'anéantissement. Il en va ainsi parce que le nihilisme foncier de la technique, en assurant à l'homme une maîtrise de plus en plus complète de son environnement, le déloge de sa niche écologique, le désolidarise de l'ensemble des vivants, le dénaturalise si radicalement qu'il l'accule, comme malgré lui, à l'angoisse et à l'émerveillement fondamentaux. En domestiquant, colonisant, quadrillant la terre, nous nous confrontons toujours davantage à l'étrangeté profonde de ce cosmos « dans » lequel, par définition, nous résidons, que nous ne pourrons donc jamais voir et contrôler de l'extérieur comme un objet et qui pourtant n'existerait pas en dehors de la conscience que nous, ou des êtres semblables à nous, en avons. Reculer toujours davantage, avec l'aide de la médecine, les limites de la[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie indienne et comparée à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Média

<it>Le Jugement dernier</it>, monastère de Voronet - crédits : Albert Ceolean/ De Agostini/ Getty Images

Le Jugement dernier, monastère de Voronet

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