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ESPACE, mathématique

Le paradigme riemannien

Un autre point de vue sur la géométrie apparaît au milieu du xviie siècle, lorsque René Descartes remarque que la position des points de l'espace euclidien peut être décrite par la donnée de trois nombres, ses coordonnées cartésiennes, qui indiquent la position de ses projections sur trois droites orthogonales. Ainsi, des objets géométriques – droites ou ellipses, mais aussi courbes plus générales – sont décrits comme ensembles de solutions d'équations algébriques portant sur leurs coordonnées. Un pont est jeté entre la géométrie et l'algèbre, voire l'analyse.

Vers 1820, Carl Friedrich Gauss, étudiant la géodésie, comprend que l'utilisation de coordonnées n'est pas réservée au plan euclidien, mais s'applique aussi aux surfaces dans l'espace. Gauss découvre que les propriétés métriques locales de ces surfaces sont déterminées par un nombre défini en chaque point, la courbure. Une surface peut être appliquée sur un plan, sans changer la longueur des courbes qui y sont tracées, si et seulement si sa courbure est nulle ; la courbure de la sphère étant égale partout à 1, il est impossible de réaliser sans déformation des cartes de la Terre.

Ces considérations prennent une extension considérable en 1846 dans le mémoire d'habilitation de Bernhard Riemann. Riemann, loin de se restreindre à considérer des surfaces dans l'espace, introduit des objets de dimension quelconque (qu'on appelle aujourd'hui variétés différentielles) qui admettent au voisinage de chaque point un système de coordonnées. On peut alors parler d'espace tangent en chaque point, comme pour les surfaces dans l'espace euclidien. Riemann considère sur chacun de ces espaces tangents un produit scalaire, ce qui permet de définir la norme des vecteurs tangents, donc la longueur d'une courbe, et par là même la distance entre deux points – on parle de métrique riemannienne. Enfin, Riemann montre que les propriétés géométriques locales de ses variétés sont déterminées en chaque point par un objet complexe de nature algébrique (appelé aujourd'hui tenseur de courbure de Riemann) qui généralise la courbure introduite par Gauss pour les surfaces ; il mesure l'« écart » à la géométrie euclidienne, puisqu'une variété munie d'une métrique riemannienne est localement identique à l'espace euclidien si et seulement si son tenseur de courbure de Riemann est nul.

Ce nouveau cadre va constituer la principale notion d'espace en géométrie et en physique. Il généralise la géométrie euclidienne, mais aussi celle des espaces symétriques, et beaucoup d'autres exemples importants pour les mathématiques ou pour leurs applications.

Le tenseur de courbure de Riemann est central pour la compréhension de la géométrie locale, mais algébriquement complexe, et sa signification heuristique est difficile à appréhender. Par une opération simple, on peut en extraire un autre tenseur, d'interprétation plus simple, la courbure de Ricci.

Lorsque Albert Einstein publie en 1915 sa théorie de la relativité générale, la géométrie de Riemann en constitue le fondement. La relativité générale postule que l'attraction gravitationnelle est le produit d'une déformation de la structure de l'espace-temps, décrite par une métrique riemannienne (en un sens très légèrement modifié car certains termes sont négatifs), par la matière qui s'y trouve. L'équation fondamentale de la relativité générale est simplement l'égalité entre la métrique riemannienne de l'espace et sa courbure de Ricci, à laquelle s'ajoute un terme décrivant la présence de matière.

— Jean-Marc SCHLENKER

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