ESPACE, philosophie
Il y a l'espace concret dans lequel nous nous mouvons, et l'espace que nous nous représentons. Pendant très longtemps, la représentation humaine de l'espace ne s'est pas trop éloignée de l'espace concrètement vécu. Selon les observations des ethnologues ou d'après la lecture des mythes que propose Mircea Eliade, pour les populations anciennes ou primitives, le centre du monde est au centre du village. La représentation antique du cosmos ayant la Terre pour centre vérifie encore cette représentation traditionnelle.
Avec la naissance de la philosophie et des sciences, la notion d'espace devient une notion problématique. Dès que l'on s'efforce de saisir l'espace en tant que tel, abstraction faite de ce qu'il y a dedans, il apparaît comme étant le vide dans lequel existe le monde. Mais ce vide est-il un réceptacle qui existe concrètement, ou n'est-il qu'une représentation à quoi rien ne correspond ? Dans le Timée, Platon (env. 428-347 av. J.-C.) estime que la Chôra (le réceptacle) est une condition nécessaire pour que les Idées puissent se réaliser dans le sensible. Mais, pour Aristote (env. 385-322 av. J.-C.), la nature a horreur du vide. Dans la Physique, l'espace est la somme des lieux : il a un caractère accidentel et non substantiel. En élaborant l'idée de création ex nihilo, la théologie chrétienne écarte également l'espace préalable, distinct du monde qui viendrait le remplir.
Une représentation nouvelle de l'espace
Avec la Renaissance et la révolution scientifique moderne, la représentation de l'espace devient plus abstraite. La vision d'un monde hiérarchisé et centré est abandonnée. S'impose un espace où le référentiel est choisi arbitrairement, selon ce qu'on appelle la relativité galiléenne. Les lois du mouvement sont les mêmes pour tous les observateurs, qu'ils soient eux-mêmes en mouvement ou non. Les expériences de la mécanique moderne et les observations astronomiques permises par l'usage de la lunette ne sont pas seules à conduire à cette nouvelle représentation. La relance des spéculations géométriques et l'avènement de la perspective dans le domaine artistique vont dans le même sens. Ce qu'on appelle l'espace ne correspond plus à ce que vit un sujet concret, mais à la vue d'un esprit théorique qui pourrait considérer cet espace comme de l'extérieur ou se positionner indifféremment, voire simultanément en tous les points de cet espace.
Cette représentation objectivée de l'espace ne fait pas disparaître le problème philosophique. Si l'espace est indifférent au choix du point de vue de l'observation, si donc il est toujours possible de traduire les données acquises d'un référentiel dans un autre, il faut garantir cette possibilité et supposer l'existence absolue de l'espace dans lequel se situent tous les choix possibles de référentiel. Telle est, en particulier, la position d'Isaac Newton (1642-1727), qui repose encore sur des fondements théologiques. Elle est cependant rejetée par G. W Leibniz (1646-1716) et Christiaan Huyghens (1629-1695). L'espace ne doit pas, selon Leibniz, être considéré comme existant indépendamment des choses, mais comme un ordre ou un ensemble de relations entre les choses. L'espace est pour l'esprit. Comme tel, il est absolu, ce qui ne veut pas dire qu'il existe en dehors de l'esprit, et indépendamment des choses. Il a bien en Dieu son fondement absolu, mais comme l'ensemble des relations spatiales possibles entre les choses et entre les perceptions possibles de ces relations par des esprits finis.
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Écrit par
- Hubert FAES : maître de conférences à l'université de Bourgogne
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