ESPACE THÉÂTRAL
Une dynamique nouvelle
L'hétérogénéité des espaces théâtraux, si elle s'explique historiquement et esthétiquement, prend à partir de la fin du xixe siècle une valeur particulière. Le rapport élaboré entre scène et spectateurs devient l'objet de tentatives pour le détruire, le contraindre, ou au contraire l'exacerber. E. G. Craig, Adolphe Appia, Erwin Piscator, Jacques Copeau et Max Reinhardt ont été les figures tutélaires de cette refondation de l'événement théâtral. Denis Bablet relevait quatre modalités pour caractériser cette recherche de nouveaux rapports : « l'aménagement du théâtre à l'italienne par une modification de ses structures ; la conception de nouvelles architectures théâtrales qui unifient l'espace salle /scène et traduisent le désir d'établir un contact direct entre l'acteur et le spectateur ; l'évasion hors de l'édifice théâtral et la recherche de nouveaux lieux scéniques [...] ; la création de théâtres transformables » (D. Bablet, in Le Lieu théâtral dans la société moderne, 1963). Ainsi, à un héritage revendiqué, s'ajoute l'invention d'espaces inédits, la recherche effrénée de modalités spatiales nouvelles, dont le Festspielhaus de Bayreuth, voulu par Wagner et inauguré en 1876, pourrait être le premier exemple. L'importance prise par les scénographes révèle combien l'espace est devenu l'une des variables poétiques de la création. La recherche de nouveaux dispositifs scéniques, les définitions mouvantes données à la « scène » ou au refus de scène permettent un redéploiement de l'espace théâtral, voire sa négation lorsque André Engel (Dell'Inferno, 1982) ou Klaus Michael Grüber (Le Voyage d'hiver, 1977) « inventent » des lieux et des parcours en rupture avec la logique « close » du théâtre à l'italienne. Devenu espace mental, poétique, commémoratif, politique, le lieu théâtral désigne alors des réalités extrêmement diverses : de l'infiniment petit (un acteur et un spectateur peuvent suffire à le délimiter) à des aires beaucoup plus vastes (les théâtres grecs ou latins pouvaient contenir jusqu'à plusieurs dizaines de milliers de spectateurs), des formes établies et perverties à des inventions ou des destructions de rapports.
« Je peux prendre n'importe quel espace vide et l'appeler une scène. Quelqu'un traverse cet espace vide pendant que quelqu'un d'autre l'observe, et c'est suffisant pour que l'acte théâtral soit amorcé. » Cette proposition de Peter Brook dans son ouvrage L'Espace vide (1977) définit la condition sine qua non de l'apparition d'un espace théâtral. Condition paradoxalement irréductible à l'espace mais tout entière tributaire de la présence corporelle de deux individus – l'acteur et le spectateur – et d'un certain type de jeu qui se dessine entre eux. Cette fragilité définitionnelle qui trouve écho dans la remise en cause au xxe siècle des structurations établies témoigne de la valeur du terme adhérant à la réalité non seulement esthétique mais sociale que sait prendre le théâtre.
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Écrit par
- Olivier NEVEUX : maître de conférences en arts du spectacle à l'université de Strasbourg-II-Marc-Bloch
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