ESPAGNE (Arts et culture) L'art espagnol
L'affrontement de la Chrétienté et de l'Islam
Au xe siècle, en premier lieu directement dans al-Andalus, puis indirectement dans les États chrétiens du Nord, en raison de l'attrait exercé par sa brillante civilisation, l'Islam avait fini par exercer une influence unificatrice sur l'Espagne entière. Tout changea brusquement au siècle suivant, avec le réveil de l'Europe et l'incorporation du christianisme ibérique à une Chrétienté nouvelle, conçue comme la réalisation terrestre de la Cité de Dieu et vécue comme une patrie. L'Église engagea contre l'Islam une guerre de libération tant en Orient avec les croisades qu'en Espagne, où débuta le phénomène majeur de la Reconquête.
L'assimilation de l'Espagne à l'Europe chrétienne peut se mesurer aux progrès de l'art roman, qui présente deux aspects bien différents. À l'est, la Catalogne s'individualise en adoptant, presque sans réserve, un premier art roman venu de l'Italie du Nord, consistant en une architecture de maçons aux volumes simples et à l'appareil rustique. La basilique traditionnelle sert de base à des recherches spatiales bientôt enrichies par l'incorporation de la coupole aux masses des chevets et par une sorte de passion pour le clocher, traité pour lui-même et enrichi de tout ce que peut offrir une grammaire décorative aux ressources limitées – bandes lombardes, cordons de dents d'engrenage. Cette architecture, introduite autour de l'an mille, évolua sur place, en bornant à peu près ses conquêtes ultérieures au domaine des techniques. L'art roman catalan provoqua également le magnifique essor d'une peinture tout aussi indifférente que l'architecture à la tradition mozarabe, mais moins soumise qu'elle au magistère de l'Italie.
La situation se présente différemment dans la partie septentrionale de la Péninsule, sans doute parce que l'Europe entière se ligua pour la faire sortir de son isolement, ce qui apparaît dans la participation à l'œuvre de la Reconquête de barons et de chevaliers venus de toutes les parties du royaume capétien. Les actions concertées de l'Église et du pouvoir politique en faveur du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle aboutirent principalement à la création d'une importante voie d'échanges, de direction est-ouest, grâce à laquelle la civilisation occidentale se propagea du Somport et de Roncevaux jusqu'au « finistère » de Galice. Ici, l'évolution artistique affecta de préférence la sculpture, avec deux temps forts qui se situent au début et à la fin du style roman. Avec les centres de Jaca, de León et de Saint-Jacques-de-Compostelle, l'Espagne participa activement, autour de 1100, à la création d'une nouvelle sculpture figurée et historiée découlant de modèles antiques. Une dernière floraison s'effectua à la fin du xiie siècle à partir de suggestions venues de Bourgogne et s'épanouit à Saint-Jacques-de-Compostelle avec la production très personnelle de maître Mathieu. Des liens avec l'Occident s'établirent également dans le domaine des arts mineurs, et notamment à travers des œuvres émaillées, comme le beau tombeau de saint Dominique de Silos.
Un renversement dans le sens des échanges artistiques se produisit simultanément dans la partie islamique de l'Espagne. Jusqu'au xie siècle, ils avaient été uniformément et régulièrement dirigés d'est en ouest. À partir de cette date, les rapports avec l'Afrique deviennent prédominants. Cette mutation est en rapport avec les exigences du temps : à la croisade chrétienne répond la geste des Sanhaja du Sahara, qui, organisés en ribāt ou camps de guerre sainte, élargissent leur domination au nom d'un islam réformé. Les « gens du ribāt » ou Almoravides, franchissent[...]
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Écrit par
- Marcel DURLIAT : professeur émérite d'histoire de l'art à l'université de Toulouse-Le-Mirail
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Médias