ESPAGNE (Arts et culture) L'art espagnol
L'Espagne éclatée de la fin du Moyen Âge
Une page est tournée après la victoire des souverains chrétiens coalisés à Las Navas de Tolosa en 1212. L'Islam espagnol se trouve désormais marginalisé. L'art hispano-mauresque, tel qu'il survit à Grenade, est condamné à l'immobilisme. L'Alhambra est une création certes séduisante, mais où l'on s'est borné à utiliser, dans des combinaisons habiles, les éléments de l'art antérieur définitivement fixés.
À cet immobilisme s'oppose l'extraordinaire élan créateur dont fait preuve dans le domaine artistique une autre région périphérique, la Catalogne. Ici s'affirme un gothique particulier, à travers un certain type de cathédrale dont les volumes, au lieu de jaillir, comme dans la cathédrale française, s'échelonnent en gradins successifs. Mais, en premier lieu, le pays accorde sa faveur à une nouvelle organisation spatiale pour les églises paroissiales et conventuelles. Il s'agit de la nef unique pourvue de chapelles latérales entre les contreforts, parti architectural adapté à la fois aux rassemblements communautaires et aux dévotions particulières. Enfin, la Catalogne crée une architecture civile très originale qui reflète l'importance du commerce maritime et les particularités d'une organisation politique et municipale d'un type unique dans la péninsule Ibérique. Qu'on ne s'y trompe pas cependant, le système économique et social sur lequel s'appuie ce magnifique essor est menacé dès la seconde moitié du xive siècle, et les entreprises de type colonial en Méditerranée dans lesquelles se lancent Barcelone d'abord, puis Valence, ne pouvaient que précipiter un déclin dont l'art porte un témoignage éloquent dans le cours du xve siècle, notamment à travers la peinture.
À côté des États de la Couronne d'Aragon, la Castille, déchirée par les guerres entre prétendants au trône, trop faible pour régler le sort de Grenade, incapable de remédier aux tares économiques responsables de l'effondrement de la monnaie, a longtemps fait pâle figure. Cependant, un travail de renouvellement s'effectuait en profondeur. La Castille parvint à digérer les 120 000 kilomètres carrés gagnés à Las Navas de Tolosa, grâce à une œuvre de peuplement et de colonisation. Dans le domaine de l'art, elle glana dans toutes les directions et s'appliqua à combiner les deux orientations apparemment contradictoires de l'art espagnol : l'ouverture à l'extérieur et l'enracinement. L'ouverture se fait désormais en direction des pays nordiques, sans doute parce qu'ils se montrent les plus créateurs durant la dernière phase du gothique. Si la cathédrale de León avait reproduit le modèle rémois, celle de Séville s'inscrit dans le champ des influences germaniques. Des artistes originaires des Pays-Bas et de la vallée du Rhin créèrent au xve siècle de véritables dynasties d'architectes et de sculpteurs. Mais simultanément, et en contrepoids pourrait-on dire, se manifeste le désir d'assimiler tout ce qui subsiste de l'Islam sur le sol ibérique. Cette fidélité à un certain passé espagnol est partagée par tous les éléments de la population. Les juifs de Tolède construisirent leurs synagogues – Santa María la Blanca et le Tránsito – dans le plus pur style hispano-mauresque. La Cour adopta le type des palais de l'Alhambra pour l'Alcázar de Séville. Plus généralement, les artisans musulmans demeurés dans les territoires conquis participèrent avec des techniques désormais immuables, aussi bien à la réalisation d'édifices civils et militaires qu'à la construction d'églises. Cet art mudéjar, conservateur dans ses pratiques, mais riche des diversités régionales, peut parfois atteindre à la puissance, comme au château de Coca, par exemple.[...]
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Écrit par
- Marcel DURLIAT : professeur émérite d'histoire de l'art à l'université de Toulouse-Le-Mirail
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Médias