ESPAGNE (Arts et culture) L'art espagnol
De la libération de l'ornement à la crise de rigorisme
Le mariage de Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle de Castille en 1469 ouvrit pour l'Espagne une ère nouvelle d'unité, de puissance et de grandes aventures. À peine la prise de Grenade a-t-elle mis fin à la Reconquête que commence la conquête de l'Amérique. Celle-ci assurera des ressources considérables au bénéfice exclusif de la Castille et de l'Andalousie. Dans ces mêmes années, l'Espagne s'insère davantage dans le contexte politique européen et noue des relations particulièrement étroites avec l'Italie.
Dans le monde des arts, c'est l'explosion. Pour assouvir un immense besoin de créer, la Castille s'abreuve à toutes les sources. Elle accepte sans complexe la coexistence des langages artistiques. Un maître comme Rodrigo Gil de Hontañón propose une magistrale interprétation du langage gothique avec la cathédrale de Ségovie (après 1522), mais il applique aussi le nouveau répertoire de la Renaissance pour deux constructions civiles : le palais Monterrey à Salamanque (1539) et la façade de l'université d'Alcalá de Henares. On ne redoute pas la contamination des styles : mieux, on s'y complaît. L'éclectisme est de règle dans le décor du mobilier d'église et spécialement pour le retable, qui avait joué en Espagne durant le Moyen Âge le rôle moteur assuré par la fresque en Italie, le vitrail en France et le polyptyque à volets dans les pays nordiques. Il prend des proportions colossales, impose un remodelage du sanctuaire liturgique, qui s'étend jusqu'à la coupole couronnant la croisée du transept. Il se propose même comme modèle pour le traitement des façades à la fin du xve et au début du xvie siècle. Rien n'est négligé pour faire plus riche et plus beau, même pas le recours à l'art hispano-mauresque remis à la mode par la prise de Grenade. La complexité de l'époque se lit très clairement dans les constructions qui s'élèvent, dans cette ville, en face de l'Alhambra. Le palais de Charles Quint met au service d'un pouvoir politique centralisateur les valeurs du classicisme et ses prétentions à l'universalisme, alors que la cathédrale bâtie par Diego Siloe exprime, d'une part, une pensée symbolique inspirée du Saint-Sépulcre, à travers une organisation très stricte de l'espace, et, d'autre part, une piété accordée à Érasme, par l'usage très libre d'éléments formels empruntés aux ordres antiques. Seuls des termes propres à la Péninsule peuvent rendre compte d'une réalité aussi complexe et même déconcertante pour l'étranger. C'est pourquoi l'on parle d'un style Isabelle, d'un art des Rois Catholiques, d'un art plateresque.
Comme le fait s'était déjà produit à plusieurs reprises dans la Péninsule, aussi bien chez les chrétiens, avec l'art cistercien, que dans le monde musulman, à l'époque des Almoravides et des Almohades, une phase de rigueur succéda à ce déferlement de liberté dans la création. La cause réside dans la politique religieuse de Philippe II, qui entendit imposer sa direction à l'Europe méridionale coupée de l'Europe du Nord par le schisme protestant. Il intervint aussi dans le domaine de la culture artistique, à laquelle il imprima un changement complet de direction avec la construction de l' Escorial : gigantesque ex-voto pour la victoire remportée par ses armées à Saint-Quentin, mais aussi et surtout centre de la vie de la Cour, nécropole royale et citadelle monastique. Ces nouvelles valeurs symboliques établissant une union étroite entre la vie et la mort s'expriment par un purisme qui fit son chemin à travers la dernière phase du maniérisme. Juan de Herrera maîtrisa cette mutation et poursuivit son action dans ses œuvres[...]
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Écrit par
- Marcel DURLIAT : professeur émérite d'histoire de l'art à l'université de Toulouse-Le-Mirail
Classification
Médias