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ESPAGNE (Arts et culture) La littérature

Le caractère essentiel de la littérature espagnole, comme de toute la culture et de tout le génie de l'Espagne, comme du tempérament des Espagnols, est la singularité. De cette singularité les Espagnols ont conscience et ils lui donnent, d'emblée, une raison géographique : ils se sentent situés au bout de l'Europe. Un de leurs aphorismes favoris est que l'Europe commence aux Pyrénées.

À cette raison se joint une raison historique : huit siècles de coexistence arabo-judéo-chrétienne. Ce fait marque l'histoire de la Péninsule à son début et déjà la distingue très fortement de l'histoire politique et culturelle des autres nations romanes. Cette coexistence a été dramatique, agitée d'événements sanglants. Elle a été aussi, à divers moments et dans diverses régions et villes, pacifique, florissante, féconde. Elle ne pouvait manquer d'influer sur les caractères ethniques des Espagnes, leurs folklores, leurs mœurs, leurs noms de personnes et de lieux, enfin leur esprit et, par conséquent, leur littérature. La prise de Grenade (1492) achevant la Reconquête, l'expulsion des juifs et des morisques, les procès de l'Inquisition ne sont point parvenus à laisser à l'Espagne son intégrale « pureté de sang ». Les mélanges sont demeurés vivaces dans la population, jusque chez ses plus illustres figures, celles-là mêmes qui, comme sainte Thérèse, ont revêtu un caractère de symbole populaire et national. Mais le sémitisme se manifeste dans l'esprit même de la littérature considérée comme l'expression la plus significative de la spécificité espagnole. Ainsi Américo Castro signale-t-il comme une des plus saillantes manifestations du génie sémitique l'apparition, dans la littérature espagnole bien avant les autres littératures, de l' autobiographie. Ce genre du récit d'une vie fait par celui qui l'a vécue, et la philosophie que ce genre implique, à savoir une affirmation de la personne dans son originalité, son énergie vitale, son destin, sont propres à la littérature espagnole dès ses origines. Cette affirmation de la personne humaine est celle de sa dignité, mais au-delà des morales reçues ; elle peut être réfractaire, asociale, antisociale, anarchique. Le Poème du Ciden est un exemple. Les Lusiades, chef-d'œuvre national du Portugal (lequel Portugal est partie intégrante de l'Hispanie et participe de son originalité historique et spirituelle), n'est pas un poème épique comparable aux productions du genre qui, sous ce nom, était alors cultivé en Europe : il est le récit d'une aventure vécue. L'un des chefs-d'œuvre de sainte Thérèse est l'histoire de sa vie. Enfin, la littérature picaresque raconte aussi des vies, raconte des aventures, et beaucoup de ces récits débutent par le mot Yo.

Des conditions particulières ont donc contribué à la création de genres et de structures littéraires propres. Des traces de ce particularisme continuent d'apparaître dans la littérature après la Reconquête, après la victoire et l'établissement des Rois Catholiques, c'est-à-dire à partir du moment où l'on peut parler d'une réalité de l'Espagne en tant qu'État et que nation. Elle entre alors dans l'histoire politique de l'Europe, partant dans son histoire culturelle. Il peut sembler que le développement de sa littérature suive le même cours que celui des autres littératures européennes. Certains phénomènes capitaux de l'histoire littéraire de l'Europe, préciosité, baroquisme, romantisme, se retrouvent dans divers chapitres de l'histoire littéraire espagnole. Mais, en dépit de ces échanges et de ces apparents parallélismes, l'Espagne, fondamentalement, garde quelque chose d'irréductiblement extra-européen.

Pourtant, à l'époque du Siècle d'or, son empire s'étend[...]

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Écrit par

  • : écrivain
  • : maître de conférences à la faculté des lettres, Sorbonne université
  • : ancien maître de conférences, université de Paris-IV-Sorbonne, U.F.R. de langue et littérature espagnoles

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<it>Don Quichotte et Sancho Pança</it>, A. Decamps - crédits :  Bridgeman Images

Don Quichotte et Sancho Pança, A. Decamps

Juan Goytisolo - crédits : Quim Llenas/ Cover/ Getty Images

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