ESPAGNE (Arts et culture) La littérature
La génération de 1898
Les précurseurs de l'Espagne moderne
La nécessité de retrouver la vérité historique de l'Espagne et de lui donner les meilleures chances de s'accomplir se fait de plus en plus manifeste dans les consciences. La volonté de réforme qui, continuellement, est le sel de la vie souterraine de l'Espagne, s'incarne dans la grande figure de Joaquín Costa, promoteur d'une politique hydraulique, historien des origines espagnoles du socialisme avec son Collectivisme agraire en Espagne (1898), et dans les initiateurs d'une grande rénovation universitaire : Sanz del Río et surtout Francisco Giner de los Ríos (1839-1915), fondateur de l'Institution libre d'enseignement. Cette rénovation pédagogique s'élargissait à toute une rénovation morale et politique. Un singulier concours de circonstances a fait qu'elle se réclamait d'un obscur philosophe néo-kantien, Krause, et a pris le nom de krausisme. Il faut toujours un nom à ce que l'on sent être une hérésie. En effet, ce qui se manifestait là, c'était toute la tendance hétérodoxe, protestante, démocratique, universaliste que l'on devine sous l'histoire spirituelle et sociale de l'Espagne.
Le traditionalisme, déjà illustré au xixe siècle par le penseur catholique Balmes, ne poursuivait pas moins son action à l'Université, par exemple avec l'œuvre magistrale d'un admirable érudit, un véritable humaniste, Marcelino Menéndez y Pelayo (1856-1912). L'élan est donné, et une volonté de libération transforme le monde des sciences, développe l'érudition dans tous les domaines, pousse vers la recherche des sources spirituelles de l'Espagne, restitue ses valeurs, découvre, avec Manuel B. Cossio, le Greco, fomente le cervantisme ainsi que, avec Menéndez Pidal, les études historiques et philologiques.
Ángel Ganivet (1862-1898), personnalité de la plus péremptoire originalité, donne, avec son bref Idearium espagnol, une lumineuse somme des caractères philosophiques et moraux de l'Espagne. Il est un des premiers à s'enquérir de ce que peut bien être la réalité désignée sous le nom d'Espagne et à s'efforcer de la définir. Son roman Les Travaux de l'infatigable créateur Pío Cid est en fait une enquête analogue, menée, à l'instar de Don Quichotte, comme un départ vers une entreprise, comme une pérégrination, comme une suite de rencontres et d'expériences. Livre animé de cet arbitraire, de ce caprice abrupt qui est le trait principal des Espagnols et va de pair avec leur généreuse richesse morale. Livre admirable, le plus grand peut-être, avec Don Quichotte et certains romans de Galdós, de toute la littérature espagnole.
Nouveaux maîtres à penser
Ganivet était l'ami de Miguel de Unamuno (1864-1936), le maître de la génération de 1898 et l'une des figures capitales de l'Espagne, devenue légende à cause de sa carrière passionnée de lutteur, sa gloire de recteur de l'université de Salamanque, son exil sous Primo de Rivera, son retour triomphal à l'avènement de la république, sa mort solitaire lors de l'entrée des franquistes à Salamanque. Ayant découvert avec enthousiasme la parenté de sa pensée avec celle de Kierkegaard, il peut et doit apparaître comme le penseur existentiel par excellence. Il a véritablement et de tout son être vécu sa pensée avec ses innombrables essais, dont le fameux Sentiment tragique de la vie (1914), ses poèmes, ses romans, ses articles, sa correspondance, ses propos, toute sa personne.
L'année 1898 est celle du désastre colonial, date qui marque la fin d'un empire qui n'était plus qu'un songe, le retrait définitif de l'Espagne sur elle-même. D'où la nécessité d'une méditation à laquelle Unamuno donne sa forme la plus pathétique. Toute une génération de brillants génies apparaît avec lui : Azorín,[...]
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Écrit par
- Jean CASSOU : écrivain
- Corinne CRISTINI : maître de conférences à la faculté des lettres, Sorbonne université
- Jean-Pierre RESSOT : ancien maître de conférences, université de Paris-IV-Sorbonne, U.F.R. de langue et littérature espagnoles
Classification
Médias