ESPAGNE (Arts et culture) La musique
La courbe et les jalons
Si elle a existé, la musique ibérique des premiers siècles de notre ère a disparu sans laisser de trace, alors que dans les églises romanes d'Espagne, comme dans celles du reste de l'Europe, se formait la monodie religieuse.
Au viie siècle, l'Église espagnole refuse la réforme du pape Grégoire Ier le Grand (590-604) et reste fidèle au chant byzantin qui, en Andalousie, donnera naissance, du viiie au xve siècle, au rite dit – abusivement – mozarabe, dont des chants sont conservés à Tolède, à Salamanque, à Silos... Cette hétérodoxie liturgique est l'aspect distinctif d'une musique qui a déjà trouvé son apport oriental.
Rite et chant hispaniques
Le terme mozarabe est primitivement appliqué aux chrétiens « sujets des Maures » (musta'rab). Après le débarquement de Tāriq ibn Ziyād à Tarifa, en 711, les lois musulmanes tolérèrent certains rites chrétiens, surtout en Aragon, en León et en Castille. L'habitude fut prise de parler du rite et du chant mozarabes. Cependant, on a abandonné ce terme pour lui préférer celui, plus juste, d'hispanique, étant donné que le rite et le chant précédèrent l'arrivée des Arabes dans la péninsule Ibérique et que, sous leur occupation, aucune influence musulmane ne pénétra dans le rite chrétien. En outre, les Asturies, qui ne connurent jamais l'occupant, demeurèrent fidèles à ces coutumes liturgiques jusqu'à leur abandon forcé au xie siècle. C'est surtout entre la fin du ive siècle et le viie siècle que le rite et le chant hispaniques (dits encore wisigothiques) s'épanouirent. Il s'agit d'une synthèse d'apports variés, empruntant aux coutumes gallicanes, à la culture wisigothique, à la neumatique byzantine, aux liturgies et mélodies milanaises (rite ambrosien), voire à des éléments syriaco-palestiniens et africains. On relève la trace des improvisations de textes sacrés par le célébrant et des réponses litaniques des fidèles, selon les usages des premiers siècles chrétiens. Les premiers manuscrits avec neumes, sans lignes ni intervalles, ne peuvent apporter que des renseignements musicaux imprécis (manuscrits du monastère Santo Domingo de Silos, de l'église de las Santas Justa y Rufina de Tolède, de la cathédrale de León, xe siècle environ). Peut-on se fier à des versions tardives (xiie siècle) de seize mélodies en notation aquitaine (diastématique et linéaire) du manuscrit de San Millán de la Cogolla ? Quoi qu'il en soit, le chant hispanique fut aboli par les décisions romaines des papes Alexandre II (1064-1073) et Grégoire VII (1073-1085). C'est à la fin du xve siècle que le cardinal Francisco Jiménez de Cisneros essaya de le ressusciter en fondant la chapelle mozarabe de la cathédrale de Tolède. Malheureusement, cette reviviscence n'a pu offrir de garanties historiques sûres. Les principaux centres de liturgie hispanique furent Tolède (avec saint Eugène, mort en 657, et saint Ildefonse, mort en 667), Séville (saint Léandre, mort en 599), Saragosse (saint Julien, mort en 690). Le chant s'inspira certainement des œuvres de Prudence (Aurelius Prudentius Clemens, 348 env.-env. 410), né en Espagne. L'utilisation extensive de mélismes (un alléluia ne possède pas moins de trois cents notes !) manifeste l'importance accordée au jubilus lyrique, qui est, d'ailleurs, toujours une des caractéristiques de la musique monodique espagnole, surtout méridionale. Un rôle important est donc confié à un ou plusieurs solistes ; le peuple se contente de chanter de courtes phrases, de proférer des acclamations, de lancer des suppliques. On est ici proche des us et coutumes gallicans. L'ordinaire de la messe comprend le praelegendum, ou officium (c'est l'introït romain), le trisagion, les benedicyiones, le psallendum[...]
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Écrit par
- Luis CAMPODÓNICO : professeur à l'université de Montevideo (Uruguay)
- Pierre-Paul LACAS : psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, musicologue, président de l'Association française de défense de l'orgue ancien
Classification
Médias