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ESPAGNE (Le territoire et les hommes) L'ère franquiste

Bilan de l'ère franquiste

Tel serait, quant au seul aspect matériel, le bilan de l'ère franquiste. Mais l'impact d'un bouleversement économique influe nécessairement sur la société environnante.

Des équilibres sociaux bouleversés

Aujourd'hui, les formes de consommation et les comportements urbains ne diffèrent plus guère à Madrid, Barcelone, Bilbao ou Valence de ce qu'ils sont à Paris, Milan ou Bruxelles. Au-delà, cette sorte de révolution passive qui coïncide avec les deux dernières décennies franquistes touche aussi les campagnes. Elle le fait d'abord d'une manière en quelque sorte physique, par le biais d'une migration rurale qui affecte un paysan sur quatre au cours de cette période. Elle le fait, encore, en vertu des conséquences globales de l'industrialisation. D'un côté, celle-ci n'est pas sans affecter l'agriculture elle-même, qui se « modernise » considérablement. De l'autre, l'industrialisation modifie de façon fondamentale l'équilibre général non seulement de l'économie, mais plus largement de la société dans son ensemble.

Le processus de développement que l'Espagne enregistre sous le franquisme donne le primat à la société industrielle et urbaine sur la société rurale. De la sorte, il réduit la dimension du problème agraire qui, d'obstacle primordial à l'alignement social et politique du pays sur les nations voisines, rétrograde au rang d'élément parmi d'autres de la spécificité espagnole, justiciable de solutions qui ne paraissent plus impliquer de cataclysme révolutionnaire. La réforme agraire cesse de se situer au cœur du débat politique. Parallèlement, ce processus de développement nivelle dans une certaine mesure les disparités économiques régionales, crée aux côtés de la Catalogne et du Pays basque d'autres pôles industriels parfois plus dynamiques et plus prospères que ces dernières provinces ; ainsi à Madrid, Saragosse ou Valence. La revendication autonomiste ne disparaît pas pour autant, mais elle se pose désormais en d'autres termes, plus nettement politiques et culturels.

Le changement religieux

En outre, le changement de la société espagnole se manifeste au niveau des systèmes de valeurs. L'effet second de la mutation économique a sa part dans l'évolution des mentalités, mais l'influence de l'environnement européen joue tout autant. L'impact des mass media, l'exemple des touristes étrangers et l'expérience des émigrants font que le divorce, la contraception, la liberté sexuelle ou l'éducation permissive des jeunes deviennent des idées familières aux Espagnols. Les attitudes religieuses, surtout, subissent une transformation profonde à partir des années soixante. Le catholicisme a façonné l'identité des Espagnols pendant des siècles, provoquant en 1936 encore la dernière des « guerres de religion » en Europe. Or, la transformation du milieu catholique et sacerdotal aussi bien que l'impact du IIe concile du Vatican modifient de fond en comble le clivage entre cléricaux et anticléricaux et font que l'Église déserte à partir de 1969-1970 le camp de la droite autoritaire et du franquisme pour se ranger dans celui de l'opposition à la dictature.

La « planification » de l'après-franquisme

Dès lors, toute une série d'obstacles séculaires à la démocratisation de l'Espagne semblent reculer de façon simultanée, comme si la modernisation entreprise tardivement sous l'égide de Franco, à seule fin de consolider les assises du régime autoritaire, aboutissait en réalité à engendrer enfin les conditions, jamais réunies jusqu'alors, de la consolidation du suffrage universel. Soit bien entendu le ralliement de l'Église et des catholiques à la démocratie, mais aussi la dédramatisation déjà évoquée de la question[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite à la Fondation nationale des sciences politiques

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Médias

Francisco Franco, 1939 - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Francisco Franco, 1939

Luis Carrero Blanco, 1973 - crédits : Gianni Ferrari/ Cover/ Getty Images

Luis Carrero Blanco, 1973

Juan Carlos I<sup>er</sup> - crédits : Alan Band/ Hulton Archive/ Getty Images

Juan Carlos Ier