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ESPÈCE, biologie

Du sens philosophique au sens biologique de la notion d'espèce

Le terme espèce hérite d'une imposante tradition philosophique qui remonte à l'Antiquité et qui a lourdement pesé sur sa définition en biologie. On peut distinguer historiquement trois grandes étapes aboutissant aux conceptions et controverses biologiques modernes.

Le mot species (qui a donné espèce en français) est la traduction latine que Cicéron a proposée du terme grec eidos, peut-être le terme le plus important de toute l'histoire de la philosophie. En français, eidos est le plus souvent traduit par « idée » quand il s'agit de Platon, et par « forme » quand il s'agit d'Aristote. Chez ces deux philosophes, eidos renvoie à ce qui existe réellement, par-delà les changements apparents. Dans la tradition philosophique médiévale, la question des espèces n'est rien d'autre que la querelle des universaux, c'est-à-dire la question de savoir quelle est la portée des termes généraux dont on fait sans cesse usage dans la langue usuelle comme dans la langue savante. Ces mots renvoient-ils à quelque chose de réel ou bien sont-ils de simples conventions nominales ? Cet héritage philosophique a pesé lourdement sur les débats des biologistes lorsqu'ils ont commencé à donner au terme espèce un sens particulier, le réservant aux êtres vivants. Son influence perdure encore aujourd'hui comme le montre l'usage fréquent, de la part des biologistes contemporains, des mots réalisme, essentialisme et nominalisme, termes techniques de philosophie.

Ce n'est en fait qu'au xvie siècle que le terme espèce a commencé à être utilisé systématiquement par les naturalistes pour désigner certains groupes d'organismes jugés exceptionnellement significatifs pour la compréhension de la diversité des vivants. John Ray se situe dans cette nouvelle tradition de naturalistes chez qui l'espèce tend à devenir un terme spécifique en histoire naturelle. Mais c'est sans doute Buffon (1707-1788) qui a joué le rôle le plus important dans ce changement d'usage, en commentant explicitement le passage du vieil usage (philosophique) du mot à son nouvel usage (biologique). Dans son discours sur L'Asne (1753), il explique qu'il faut bien dissocier l'usage philosophique général du mot espèce – au sens de « espèce de », notion purement logique qui n'implique rien d'autre qu'une propriété partagée par des choses semblables, quelles qu'elles soient – de son application aux êtres vivants, cas dans lequel la notion renvoie à une lignée d'individus connectés par la génération dans le temps. Dans d'autres passages de son immense ouvrage intitulé Histoire naturelle, Buffon a insisté sur un autre critère, celui de l'interfécondité, tout en notant les difficultés de ce critère. En effet, il arrive parfois que des individus de deux espèces soient féconds entre eux tandis que leur progéniture est stérile (par exemple, le cheval et l'âne peuvent se croiser, mais les mulets obtenus sont stériles). Enfin, le même Buffon a invité les savants à renoncer à l'usage du mot espèce pour des collections d'objets autres que des êtres vivants. Cette invitation n'a pas été suivie puisque l'on parle toujours d'espèces chimiques et d'espèces minéralogiques dans les manuels. Dès le xviiie siècle, les naturalistes ont réfléchi sur les paradoxes de la notion d'espèce dans les sciences de la vie, conscients des problèmes particuliers posés par ce terme.

Au-delà de Buffon, les trois critères que sont la ressemblance, la descendance commune et l'interfécondité sont devenus les trois piliers de la notion d'espèce au sens biologique. Georges Cuvier (1769-1832) a fixé cette notion commune de l'espèce vivante par la définition suivante : «[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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