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ESPÈCE, biologie

La notion d'espèce aujourd'hui

Les trois définitions données ici se situent clairement dans une optique évolutionniste. Depuis les années 1970, la situation a considérablement empiré pour tous ceux qui espéraient que la biologie contemporaine réussirait à donner une définition unitaire de l'espèce. Les concepts de l'espèce ont proliféré. On en compte aujourd'hui plus d'une vingtaine, tous opératoires et utilisés dans des domaines biologiques particuliers. Tous ces concepts, à l'exception de quatre, sont définis de manière ouvertement évolutionniste. On est aujourd'hui dans une situation qui semble donner raison à Darwin, à savoir qu'il est vain de croire que les biologistes pourraient se mettre d'accord sur une définition universelle de l'espèce s'ils admettent une vision évolutionniste du monde vivant.

Comment expliquer cette situation étrange ? Celle-ci a été analysée par le philosophe allemand Thomas Reydon. Pour lui, la prolifération de définitions résulte du fait que le concept d'espèce joue en fait plusieurs rôles dans la connaissance biologique. En particulier, les espèces y sont à la fois des unités de classification et des unités d'évolution. Ces deux rôles sont légitimes mais rien ne garantit qu'ils puissent s'appuyer sur un concept unitaire de l'espèce. Au contraire, il est possible de montrer qu'ils ne se recouvrent pas. Par exemple, on attend d'une classification qu'elle soit (idéalement) stable et non modifiable ; par conséquent, les unités de classification dégagées par diverses méthodes (y compris celles de la systématique phylogénétique) ne relèvent pas de la même intelligibilité que les unités d'évolution qui intéressent les biologistes étudiant le processus dynamique de l'évolution.

Canidés - crédits : Shutterstock

Canidés

Il n'est pas possible de détailler ici les innombrables problèmes liés à la prolifération de concepts différents de l'espèce dans les sciences biologiques et médicales. Du point de vue du profane, ces débats peuvent sembler irréels tant l'usage commun du mot espèce semble évident. Les chats ne font pas des chiens, dit plaisamment un proverbe. Certes, mais les chiens offrent un bon exemple des problèmes que soulève le concept biologique de l'espèce en biologie. Les chiens (chiens domestiques) se croisent avec les loups, les chacals et les coyotes. Au regard du concept biologique de l'espèce, fondé sur l'isolement reproductif, les loups, les chacals, les coyotes et les chiens domestiques ne formeraient donc qu'une seule espèce. Mais, alors, il faut faire face au fait que tous les chiens ne sont pas interféconds entre eux (certains pèsent quelques centaines de grammes, d'autres près de 100 kilogrammes) et, donc, encore moins avec les loups, les chacals et les coyotes. Comment délimiter les espèces dans une telle situation ? Le concept écologique peut ici être d'une certaine utilité. On dira alors que certes, les loups, les coyotes, les chacals et les chiens domestiques constituent un ensemble dans lequel les gènes peuvent circuler (mais pas selon tous les chemins possibles), mais là n'est sans doute pas le plus important. Ce qui compte, c'est que ces quatre groupes évoluent dans des niches écologiques distinctes, l'une de ces niches étant (pour le chien domestique) un environnement spécifiquement humain. C'était plus ou moins l'hypothèse de Darwin qui pensait que le chien domestique résultait d'événements successifs d'hybridation entre les loups, les chacals, les coyotes et peut-être aussi une autre espèce hypothétique.

Le chien représente sans doute un cas assez exceptionnel, mais pas tant que cela. Considérons, par exemple, l'immense ensemble des bactéries. Les microbiologistes distinguent des espèces sur la base de caractères morphologiques,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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Charles Darwin - crédits : Spencer Arnold/ Getty Images

Charles Darwin

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